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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/840

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Elle avait cru d’abord qu’il manquerait la poste ; elle espérait à chaque instant le voir reparaître, mais la journée s’acheva, il était réellement parti.

La pauvre fille n’avait pas plus l’expérience du bonheur que de la souffrance ; comme un enfant, elle allait tout de suite aux extrêmes ; il lui semblait qu’il ne devait jamais revenir, son père le garderait sans doute, dans quelques jours il enverrait sa démission ; elle sentait ses espérances s’évanouir.

— S’il savait au moins qu’il a emporté ma vie !

Les jours suivans furent d’une tristesse horrible. Elle n’avait personne à qui se confier, pas une amie pour se distraire ; elle avait vécu dans sa solitude agitée, sans jamais prévoir cette nécessité de la vie.

À l’heure du courrier, elle rôdait autour du père Antoine, dans l’espoir qu’il parlerait de lui ; maintenant elle devenait ingénieuse, elle amenait la conversation sur l’absent, mais le nom qui lui brûlait les lèvres n’était même jamais prononcé ; elle s’enfuyait alors, au fond du jardin, sous la tonnelle ; elle ne comprenait pas que celui qui emplissait sa pensée fût aussi indifférent aux autres.

Elle rencontrait souvent le pauvre père Rousselin ; ils s’évitaient, pourtant leur misère commune aurait dû les rapprocher. Mais la pitié qu’elle avait éprouvée quand elle était heureuse s’était changée en haine maintenant qu’elle souffrait. N’était-il pas la cause de son mal ? Pourquoi était-il venu troubler sa vie ?

Le dimanche arriva. Mademoiselle se rendit avec les élèves à la chapelle du collège. Elle avait besoin de prier ; elle ne pouvait parler aux hommes, c’était un soulagement de s’entretenir avec Dieu.

Le père Rousselin aussi ne manquait jamais les offices ; c’était chez lui, à défaut de conviction profonde, une affaire d’éducation et de bienséance. La religion faisait partie de son programme ; il eût au besoin enseigné la manière de se tenir devant Dieu. Il aimait aussi, lui, cette heure de recueillement qui le ramenait aux pratiques de son enfance.

Mais ce jour-là il était surtout venu pour la voir, ailleurs il ne pouvait que la rencontrer. Au fond de la chapelle, sans que rien pût l’en distraire, il resta agenouillé devant elle. Il lui dit mentalement tout ce qu’il avait au cœur ; un ange peut-être plaiderait sa cause ; il était heureux de la voir dans cet asile plein d’indulgence et d’amour divin d’où sa colère ne pouvait le chasser.

Il se leva avant la fin de la mes e et vint s’adosser au bénitier pour lui donner l’eau sainte. Quand elle parut dans le rayon de lumière qui frappait le portail, sa jolie taille s’enlevant sur le fond sombre de la chapelle, il s’avança vers elle, les yeux baissés, lui