Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendant sa main nue avec le geste qu’il enseignait pour inviter sa danseuse. Au bout du doigt brillait une perle d’eau bénite. Elle hésita un peu, puis la toucha de sa main gantée et la porta à son front.

Ce matin-là, le vieil homme s’en alla heureux, comme si le ciel venait de les unir. L’eau partagée lui semblait un présage de pardon.

Une semaine encore, mademoiselle resta sans nouvelles. La tristesse de la première heure se changeait lentement en mélancolie vague, mais elle avait perdu cette insouciance et cette bonne humeur juvénile qui étaient un de ses charmes. Elle ne jouait plus avec les enfans, elle ne savait plus les retenir quand ils venaient à sa chambre. Ses poches désormais étaient vides. Parfois elle arrêtait les élèves de Simon avec l’espoir d’entendre parler de lui, et puis elle les congédiait, rougissant de les rendre complices de ses pensées intimes.

Tout semblait changé depuis son départ. En les considérant bien, elle était surprise que les objets et les lieux fussent les mêmes. Tout pour elle était enveloppé d’une atmosphère de tristesse et d’abandon qui en modifiait l’aspect.

Le père Antoine avait été frappé de son air abattu. Un jour, il l’interrogea, elle ne sut que répondre ; son secret lui paraissait si bien caché qu’elle fut effrayée de se trahir ainsi.

Un soir, après que les élèves furent couchés, le collège avait repris son silence de cloître. Mademoiselle était sur sa porte, faiblement éclairée par les dernières lueurs du jour. Elle se sentait abattue et sans courage ; la tête appuyée à la muraille, elle regardait les étoiles qui commençaient à piquer le ciel de lueurs pâles et tremblantes ; sa jupe était pleine de fleurs qu’elle n’avait pas la force de réunir en gerbes. Dans le parloir à côté, on entendait le père Antoine causant avec ses professeurs.

Tout à coup, le guichet de la grande porte grinça dans le silence, et sous l’ombre du saule pleureur, la silhouette de Simon Carmejade se dessina vaguement. Il s’avançait, la tête basse, un peu courbé, comme quelqu’un qui vient de beaucoup souffrir.

Juliette avait dressé la tête au bruit de la porte ; en le voyant, elle étouffa un cri et courut à lui. Elle ne calculait plus ; un mouvement involontaire la portait en avant, elle le joignit avant qu’il eût dépassé le cercle d’ombre du vieil arbre. Elle lui tendit sa main qui tremblait.

— Votre mère ?

— Morte !

Elle gardait la main qu’elle avait prise ; une grosse larme chaude vint la caresser.