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a été reconnue par les aveux ultérieurs de leur principal ennemi, de Dupin lui-même, et par les mémoires que deux ans après l’avocat Antoine Roy présentera, au nom des créanciers de la ferme, intéressés à ce que la valeur de leur créance ne fût pas confisquée par l’état. Néanmoins, il importe de discuter les principaux chefs d’accusation, ceux qui amenèrent la mort des fermiers-généraux, et, aux yeux des contemporains, parurent légitimer leur condamnation : intérêts abusifs, retards dans les versemens au trésor, concussions sur le tabac râpé.

Les commissaires reviseurs et plus tard Dupin, dans son rapport à la Convention, accusent les financiers de s’être attribués jusqu’à 10 pour 100 d’intérêt pendant le cours du bail de David (1774-1780), tandis que les termes du bail ne leur en attribuent que 4. Cette accusation était le résultat d’une confusion volontaire : au moment de sa constitution, la compagnie devait verser une somme de 93 millions de livres ; 72 millions étaient avancés à l’état, le reste était destiné à rembourser aux adjudicataires du précédent bail la valeur du matériel nécessaire à l’exploitation du sel et du tabac. Chacun des fermiers-généraux (ils étaient alors soixante) avait à fournir 1,500,000 livres, et comme peu d’entre eux possédaient une fortune assez considérable, ils empruntaient à des particuliers, heureux de placer leur argent en mains sûres. Quand ils établissaient le prix du bail qu’ils pouvaient offrir à l’état, ils faisaient entrer, dans la prévision de leurs dépenses, un intérêt de 10 pour 100 sur 1 million et de 6 pour 100 sur 500,000 livres. Cela se faisait au grand jour ; l’état n’était pas obligé d’accepter les offres de la compagnie, et de fait, le traité était toujours consenti librement, après de longues discussions entre les financiers et le contrôleur-général. Cette manière de faire était approuvée par des arrêts du conseil, et elle dura jusqu’en 1780, époque à laquelle Necker abolit ce mode de rémunération et changea les bases de l’accord à intervenir avec la ferme. Quant aux intérêts à 4 pour 100 que les termes du bail de David attribuaient aux 72 millions avancés au trésor public, ils figuraient pour mémoire, les financiers ne les touchaient pas, car l’état en majorait le prix du bail à payer par la ferme; ces intérêts entraient d’une part en recettes, de l’autre en dépenses, de sorte que les fermiers-généraux, qui empruntaient à 4 1/2, retiraient des fonds avancés 5 1/2 pour 100 sur 60 millions et 1 1/2 sur 12 millions.

Le rapport des commissaires reviseurs avançait en outre que les fonds perçus par l’impôt étaient versés en retard au trésor, et qu’ils étaient employés en spéculations. A la fin de chaque exercice, la ferme demandait une quittance qui n’était remise qu’après examen