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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/944

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qu’il possède en France une notoriété sans égale. Mais la plus grave des erreurs serait d’attribuer à la renaissance de l’esprit belliqueux la popularité du général Boulanger. Il est un officier vaillant, on le dit bon général, mais sa popularité n’est pas celle d’un soldat, elle est celle d’un politicien. Il a eu deux idées simples. Dans un pays de suffrage universel, la foule n’a pas le loisir de juger les hommes : parmi la masse confuse de ceux qui se disputent son suffrage, elle s’attache à celui dont elle a contemplé le visage et retenu le nom. Le général a voulu être cet homme. Les occasions qu’il recherche et fait naître sans cesse de se produire, ses discours, ses voyages, ses revues, ses banquets, ses biographies, les portraits, les salves régulières que chaque jour, depuis son avènement, la presse tire pour ou contre lui, ont fait passer un visage devant des millions de spectateurs, ont contraint des millions de mémoires à retenir un nom. Il a pénétré par ce procédé grossier, mais seul efficace, dans des couches où nulle gloire politique ne pénètre; il est le seul homme connu de la France; seul connu, il est seul populaire.

De plus, dans un pays de service militaire universel, l’homme qui est chef de l’armée a une autorité directe sur tous les citoyens valides. Les lois qu’il soutient, les décrets qu’il rend, la sévérité ou l’indulgence qu’il emploie ne laissent indifférent aucun foyer. M. le général Boulanger a compris qu’il avait entre les mains la feuille des bénéfices, et qu’il suffisait de donner pour se créer par la gratitude tout un peuple de partisans. Depuis son entrée au ministère, il fait largesse de l’armée. Aux hommes d’influence, sénateurs, députés, journalistes, les nominations, les dispenses, les congés, les innombrables faveurs que rend possible l’autorité sur d’innombrables services. Surtout, il a compris qu’il avait un moyen de s’attacher d’un coup ceux qui n’osent ou ne peuvent prendre leur part des faveurs individuelles, c’était de réduire le service militaire au-delà de ce qui avait été demandé par les plus audacieux. Il a présenté un projet de loi qui donne à tous les Français la certitude de servir moins de trois années et espoir de servir moins d’un an. La nation, qui applaudit à ces changemens, n’a pas cessé d’être patriote ; elle est reconnaissante au soldat qui a trouvé le secret de diminuer les charges et accroître la puissance du pays.

Et c’est ce ministre qui serait le préparateur menaçant de la revanche ! c’est ce peuple, si avide d’échapper aux charges militaires, qui sentirait renaître dans son cœur la nostalgie de la guerre ! Où donc s’est trahi cet Achille à la vue des armes? Est-ce en Tunisie? Le ministère n’a pas osé demander au pays l’appel des réserves, même pour lui donner sans coup férir cette province.

En Égypte, où nous avions des intérêts de premier ordre, un ministère,