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Les animaux les plus rudimentaires, voisins de la vie purement végétative, dépourvus de système nerveux et musculaire, n’avaient probablement pas la faculté de se mouvoir d’un point à l’autre dans leur lieu d’habitation; mais il devait cependant exister, jusque chez ces espèces primitives, certaines tendances à une surexcitation ou à un affaissement de l’activité générale selon l’approche ou le départ des objets avantageux ou nuisibles. Ces tendances ont dû être triées et grossies par la sélection naturelle, à cause de leurs avantages. On peut ajouter, avec M. Schneider, que l’accroissement de l’activité générale, même en l’absence de système musculaire, se manifeste toujours comme expansion et la décroissance d’activité comme contraction. L’expansion et la contraction sont l’origine de tous les autres mouvemens vitaux, et par cela même de tous les signes : c’est le germe de toute mimique.

Maintenant, considérons quels états de sensibilité devaient correspondre, chez les animaux rudimentaires, aux divers modes d’activité générale, accompagnés de mouvemens généraux d’expansion et de contraction. Nous aurons alors les deux situations suivantes: 1° approche d’un objet avantageux, accroissement d’activité au-delà de l’état normal, plaisir et mouvement d’expansion générale qui en devient le signe ; 2° approche de l’objet nuisible, descente de l’activité au-dessous de la normale, douleur et mouvement de contraction générale qui en devient le signe. Faites un pas de plus dans l’évolution : le mouvement intérieur de contraction, en se perfectionnant par la sélection naturelle, aura amené l’être vivant à un mouvement massif de transport dans l’espace, qui l’écartera de l’objet; c’est le mouvement d’aversion et de fuite. Le mouvement d’expansion, au contraire, aura amené l’être vivant à un transport de tout son corps vers l’objet agréable: c’est le mouvement de propension et de poursuite. Ce sont là deux nouveaux signes dans le langage naturel. Ajoutez enfin l’idée de l’objet qui cause la peine ou le plaisir, vous aurez la répulsion consciente et le désir.

Telles sont les émotions primitives, avec le mouvement général du corps qui les exprime au premier moment. Nous pouvons dire alors, contre M. Spencer, que, si l’intensité d’un sentiment agréable s’exprime par une exaltation et expansion d’activité motrice, l’intensité d’un sentiment pénible s’exprime tout d’abord par une contraction et diminution d’activité motrice. Dans la joie, les divers organes ne font que reproduire et aider, pour leur part, le mouvement général d’expansion : les traits se dilatent, les sourcils se relèvent, la bouche s’ouvre, la physionomie tout entière est ouverte, la voix s’accroît et s’enfle, les gestes s’épandent en quelque sorte par des mouvemens plus amples et plus nombreux. On dit de même, et avec raison, que le cœur et les poumons se dilatent, que leur jeu est rendu