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n’était plus cette fois la France qui était le trouble-fête universel, qu’elle n’avait rien fait pour provoquer la crise où l’Europe est encore aujourd’hui engagée, qu’elle donnait l’exemple de la modération, de la tenue, dans les circonstances les plus difficiles. On a bien voulu reconnaître pour le coup que, s’il y avait des provocateurs, des organisateurs de conflits, ils n’étaient pas à Paris, que si la paix du monde se trouvait en péril, elle n’avait pas été menacée par nous. Les gouvernemens eux-mêmes ont senti ce qu’il y avait de droiture et de force dans la position de notre pays, et quelques-uns en sont peut-être venus bientôt à ne plus considérer avec indifférence l’éventualité d’une nouvelle guerre d’invasion et de conquête tentée contre la France. C’est là certainement un fait nouveau qui a son importance. Et qu’on ne parle pas aussitôt de révolutions dans les alliances, de combinaisons mystérieuses, de rapprochemens soudains et imprévus, par exemple entre la France et la Russie. Ce ne sont là que des thèmes de polémique, où l’on se plaît à passer en revue toutes les relations, à bouleverser ce qu’on appelle l’échiquier de l’Europe, à nouer et à dénouer les alliances. Ce qui reste vrai, c’est qu’il y a quelque chose de plus fort que tous les artifices de la diplomatie, c’est le sentiment de solidarité qui rapproche dans des circonstances déterminées de grandes nations, qui fait qu’elles sont également intéressées à ne pas laisser porter atteinte à une certaine situation du monde. Si la Russie semble détourner un moment ses regards de l’Orient pour fixer ton attention sur l’Occident, ce n’est pas parce qu’elle s’est engagée dans un nouveau système d’alliances ; c’est parce qu’elle ne peut être insensible dans son intérêt même à tout ce qui affecterait l’ordre européen, c’est parce qu’elle comprend bien que, si la France devait être la victime d’une guerre nouvelle qu’elle n’aurait pas provoquée, elle laisserait un redoutable vide en Europe, et qu’il ne resterait plus qu’une puissance démesurée et formidable sur le continent, La Russie a de longues vues sans doute. Elle ne renonce pas à poursuivre ses desseins sur l’Orient ; elle n’ignore pas non plus les difficultés qu’elle rencontrerait, les rivalités qui lui disputeraient le passage, les complications qui pourraient naître et où elle n’aurait que des alliés douteux. Elle semble assez disposée à ne rien brusquer, à ne rien hâter dans les régions orientales. Pour le moment, la politique russe tend visiblement à empêcher les grands conflits, à maintenir la paix dans l’Occident, parce qu’elle y est intéressée ; c’est tout le secret de ses récentes évolutions.

Est-ce que toutes les autres puissances, à commencer par l’Angleterre elle-même, en dépit de sa politique égyptienne, ne sont pas également intéressées à détourner des événemens dont la conséquence pourrait être d’élever au centre du continent une prépondérance qui ne reconnaîtrait plus d’alliés, qui ne compterait que des cliens et des complices ? Le