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loi de 1850, pour finir par un singulier à-propos. Au moment même où le gouvernement refuse de se prêter à la séparation de l’église et de l’état, M. le ministre de l’instruction publique, qui ne connaît pas d’obstacles, ne trouve rien de mieux que de dénoncer le concordat dans ses discours ! M. le ministre de l’agriculture, plus modeste, plaide pour la surtaxe des céréales que les autres membres du cabinet combattent. M. le président du conseil défend énergiquement les crédits de son ministère et abandonne ceux de son collègue des finances. Pendant ce temps, M. le ministre du commerce Lockroy ouvre des dialogues caustiques avec les pétitionnaires qui réclament contre la tour Eiffel, ou bien va à la place Monge, à l’inauguration de la statue de M. Louis Blanc, saluer au nom du cabinet « le défenseur des damnés de l’enfer social ! » c’est ainsi que marchent les affaires ministérielles, avec cet esprit de conduite, avec cette sûreté et cet accord de vues, tandis que le pays reste livré à sa propre inspiration, ne trouvant qu’en lui-même sa sagesse, au milieu d’une d(s crises les plus sérieuses de son histoire contemporaine. Et voilà pourquoi se manifeste de toutes parts le besoin, le désir, l’impatience de retrouver un gouvernement plus conforme à la gravité des choses.

Oui, sans doute, il faut un gouvernement à la France ; tout ce qui se passe depuis quelque temps en a démontré plus que jamais la nécessité, et c’est justement un des profits les plus clairs des dernières crises d’avoir mieux fait comprendre qu’un pays comme le nôtre, en échange de la bonne volonté dont il est prodigue, a le droit de se sentir dirigé et protégé, qu’il a surtout besoin d’avoir confiance en ceux qui le conduisent. On le sent, on le répète sur tous les tons, en se lamentant ; mais ce serait une illusion par trop singulière de se figurer qu’on peut réussir à refaire un gouvernement dans les conditions où l’on s’est placé jusqu’ici, avec des ministères de la « tour de Babel, » selon le mot de M. Léon Say, en livrant tous les intérêts publics, les finances, l’administration, la magistrature, l’armée à des partis, à des groupes dont on croit avoir besoin pour se faire une majorité incohérente. Avec cela, on n’arrive qu’à l’anarchie et à l’impuissance vainement déguisées sous une série d’expédiens ruineux ou puérils. On vient d’en avoir la preuve une fois de plus, pas plus tard qu’hier, par ce qui s’est passé à l’occasion de ce budget disputé, marchandé, bouleversé et, en définitive, voté de lassitude à la dernière heure, pour éviter de recourir à l’humiliante extrémité d’un nouveau douzième provisoire. La chambre des députés, aussi imprévoyante dans sa passion nouvelle d’économies que dans ses prodigalités des dernières années, avait commencé par tailler dans ce malheureux budget, désorganisant les services, supprimant ou diminuant arbitrairement des crédits essentiels. Quand le budget ainsi mis à mal est arrivé au Luxembourg, le sénat s’est hâté