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de remettre un peu d’ordre dans cette confusion, de rétablir quelques- uns des crédits supprimés, et il l’a fait d’accord avec le gouvernement lui-même, particulièrement avec M. le ministre des finances, qui déclarait que sans cela ses services ne pouvaient marcher. Fort bien ; mais ce n’était pas tout, il fallait maintenant que la chambre acceptât ce qu’avait fait le sénat, et si elle s’est résignée, elle a impitoyablement biffé encore une fois quelques-uns des articles rétablis, même les plus importans. Nouveau voyage au Luxembourg ! Le temps pressait, que faire ? M. le ministre des finances est allé bravement supplier le sénat de ne pas s’obstiner, d’en passer par ce que voulait la chambre, en ajoutant comme consolation que cet argent qu’on lui refusait au Palais-Bourbon, dont il avait besoin, il le demanderait par des crédits supplémentaires.

Ainsi, voilà des crédits qu’on déclare nécessaires pour le service public, qui ont évidemment leur place dans le budget ordinaire : on craint de les maintenir d’accord avec le sénat, de peur de se brouiller avec la chambre ; on les relègue dans le domaine des crédits extraordinaires, au risque de ne les avoir pas du tout, — Et là-dessus M. le président du conseil improvise une théorie constitutionnelle au moins imprévue, dont le dernier mot serait de subordonner les droits du sénat au bon plaisir des ministres arbitres entre les deux chambres. C’est, dit-on, pour éviter un conflit parlementaire ! Mais dans tous les conflits entre des pouvoirs qui se respectent, il y a inévitablement un moyen de conciliation, — Et le gâchis reste toujours le gâchis. Le ministère a pu obtenir son budget, budget d’attente et de confusion s’il en fut, il n’en est pas plus fort avec ses théories, ses légèretés, ses contradictions, ses incohérences. Eh bien ! c’est de cette situation qu’il faut sortir pour le bien comme pour l’honneur de la France, et on ne le peut évidemment qu’en revenant sans subterfuge et sans hésitation à des conditions plus vraies et plus sincères de gouvernement, en allant chercher l’autorité et la force là où elles sont, dans ces sentimens de modération qui sont en quelque sorte l’essence du pays. Qui pourrait dire aujourd’hui, après l’expérience de ces dernières années, dans l’état présent du monde, qu’un ministère pourrait se former et vivre en s’alliant décidément avec les radicaux, en avouant la politique radicale ? Qu’on suppose un instant le radicalisme à l’œuvre, avec la séparation de l’église et de l’état, avec des redoublemens de persécution religieuse, avec la suppression du sénat, avec l’impôt progressif et la désorganisation des budgets : le résultat est clair et certain, c’est l’agitation en permanence et, par suite, l’affaiblissement de la France dans les crises qu’elle peut avoir encore à traverser. Il n’y a donc d’autre gouvernement sérieux, possible, que celui qui cherchera son appui dans les forces modérées du pays, qui s’attachera d’abord à ces deux œuvres réparatrices, la pacification morale de la France et une