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personnel des gardiennes laïques qui faisait le service à Saint-Lazare fut congédié et remplacé par les sœurs de l’ordre de Marie-Joseph. La préfecture de police qui, par expérience et par tradition, est perspicace, sait que certaines maladies morales ou physiques ont besoin d’infirmières spéciales, et que c’est aux communautés religieuses, au renoncement volontaire, au dévoûment professionnel, qu’il est sage de les emprunter; car, là plus qu’ailleurs, on rencontre la discipline, la bonne tenue et le désintéressement. Si le zèle sur certaines questions y peut parfois paraître excessif, ce défaut de mesure dans des croyances où l’on voit le bonheur et que l’on voudrait faire partager, est racheté par une abnégation de soi-même et un sentiment du devoir qui sont un garant de sécurité pour l’administration et de justice pour les détenus. Non-seulement les religieuses prirent possession de la prison, mais les dames visiteuses en furent écartées; l’exemple de Louise Crombach avait rendu défiant, on leur interdit l’entrée des chambrées et des ateliers où elles venaient faire des lectures pieuses, répéter quelques bribes des sermons entendus au prêche et qui n’étaient pas toujours écoutés avec le recueillement désirable. Plus d’une détenue avait feint de dormir, et les moins respectueuses s’efforçaient de ronfler. Les résultats obtenus avaient été de si mince importance, que toute visite fut supprimée. Saint-Lazare fut séparé du monde extérieur et resta livré à sa propre contagion.

Cette période d’isolement dura jusqu’en 1868. À cette époque, l’abbé Michel fut nommé aumônier de la prison; il amena avec lui sa nièce, qui ne le quittait point, qu’il avait élevée et qui se nommait Pauline de Grandpré. En entrant dans la prison où, lors des plus mauvais jours de la Terreur, André Chénier avait chanté la Jeune Captive, qui se souciait plus des saillies du comte de Montrond que des vers du poète, la première impression de Mlle de Grandpré fut pénible, et ce ne fut pas, je pense, sans quelque effroi qu’elle vit défiler devant elle le lamentable troupeau du vice et de la dépravation. Si le contact n’était pas immédiat, il n’en était pas moins douloureux; elle voyait les détenues descendre de la voiture cellulaire, se promener dans les préaux; de ses fenêtres, elle surprenait leurs conciliabules secrets; le jour, elle les entendait chanter; la nuit, elle les entendait crier, gémir et sangloter. Au malaise des premières heures succéda la pitié, l’ineffable pitié des grands cœurs pour ce qui souffre, même lorsque la souffrance est méritée. C’est là un sentiment, je dirai même une sensation, dont il est impossible de se défendre lorsque l’on visite les cabanons et les ateliers d’une maison pénitentiaire. On a beau se dire que l’on est en présence de coupables que la loi avait mission de frapper, que la société avait le devoir de séquestrer, on n’en est