Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promettait la Tunisie, il fallait relever les ruines sous lesquelles nous l’avions trouvée écrasée, ils répondaient qu’ils n’entendaient rien à la politique, qu’ils arrivaient pour travailler, pour réussir au plus vite et coûte que coûte. Beaucoup d’entre eux, trop audacieux, avaient rompu leur établissement en France, brûlé leurs vaisseaux : ils n’accusaient pas leur excès de confiance, mais le protectorat, de les ruiner. La plupart étaient convaincus que nous avions intérêt à prendre la Tunisie à notre charge et considéraient comme des compromissions coupables les ménagemens dont nous usions envers le bey ; ils disaient bien haut, écrivaient partout qu’il fallait oser, aller de l’avant, prendre la succession du bey, comme si une succession ne transmettait jamais de dettes. Il va sans dire que les émigrans n’étaient pas tous des travailleurs; quelques-uns virent dans les déceptions très naturelles de leurs compagnons un moyen d’embarrasser le gouvernement du protectorat, une occasion de lui déclarer la guerre ; cette occasion seule valait pour ceux-là le voyage ; ils couraient la chance de faire peur et d’obtenir pour eux-mêmes par la menace les satisfactions qu’ils prétendaient réclamer pour autrui ; en tout cas, ils faisaient grand bruit pour être connus, revenir en France avec une espèce de nom, l’autorité d’hommes qui ont vu les choses de près, qui en savent long, qui vont tout dire... et le fait est qu’en France ils trouvaient des auxiliaires ou des dupes, réussissaient à organiser contre la nouvelle administration une campagne en règle.

Le public ne les prenait pas au sérieux, dira-t-on, le gouvernement était là pour les démentir. Nous touchons au point délicat : le public n’était pas favorable, on le sait, à l’occupation de Tunis, pas plus qu’à celle du Tonkin et de Madagascar ; très indifférent et naturellement ignorant en matière de politique coloniale, il avait laissé sans protester en 1882 les Anglais intervenir seuls en Égypte, cette terre pourtant si riche et si française ; sa mauvaise humeur, disons plus, sa malveillance contre toute entreprise lointaine, était générale, et le gouvernement, pour ne pas se discréditer, devait, autant que possible, convertir ou du moins apaiser les mécontens, plutôt que de les repousser avec éclat. Cette malveillance générale et qui menace de paralyser l’action de la métropole dans nos colonies, il est difficile et ce n’est d’ailleurs pas ici la place d’en exposer complètement les causes multiples, mais il est nécessaire d’en indiquer les principales.

D’abord le public français se demande ce qu’on entend par des colonies et à quoi elles servent. Avant la révolution, puis sous la restauration jusqu’en 1848, nous considérions généralement nos colonies comme des contrées exotiques que nous exploitions au profit de notre commerce et du trésor; mais aujourd’hui tout le