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ou en Tunisie, a fait colonne, c’est-à-dire exercé tous les métiers, développé son savoir-faire, tour à tour tirailleur, cavalier, maçon, menuisier, jardinier, blanchisseur, cuisinier, etc., l’avantage n’est pas discutable, il est tout acquis au dernier, à l’Algérien, qui revient chez lui débrouillard, hardi, plein de ressources et certainement supérieur de beaucoup à ce qu’il était quand il est parti. Si on en juge par les hommes qui reviennent de nos expéditions lointaines, on peut prévoir que nous aurons, le jour où elle sera formée, une incomparable armée coloniale, car si le sentiment public est hostile aux guerres aventureuses, le caractère français n’en demeurera pas moins toujours le même : nous aimons le travail et l’heureux repos comme le reste des hommes, mais rien ne vaut pour nous l’inattendu, les risques, le danger, le dévoûment, la gloire : la tranquillité nous sourit, mais la gloire nous grise ; on peut le prédire à coup sûr, il n’y aura certes pas place pour tous ceux qui voudront en être dans notre future armée coloniale. Un grand nombre des volontaires de la Hollande, dans son interminable guerre d’Atchin, sont des Français : un jour, dans un tramway, de Leyde à Haarlem, le conducteur, jeune Hollandais à la figure très militaire, se mit à causer avec moi. A ma grande surprise, il parlait, non pas exactement le français, mais l’argot, le parisien des boulevards extérieurs : en moins de cinq minutes, j’entendis tomber de ses lèvres des mots comme ceux-ci : « Vrai! mince! malheur! de quoi! oh là là! va donc! » et bien d’autres. — « Où avez-vous appris le français? lui demandai-je. — A Java, me répondit-il ; la plupart de mes camarades du régiment le parlaient ainsi. »

En Tunisie, avons-nous dit, les élémens de cette armée sont presque prêts; à mesure qu’on réduisait l’effectif de nos troupes, on organisait des corps indigènes. Sous le second empire, une mission militaire française, dirigée par le général Campenon, alors colonel, était venue donner au bey Achmed une respectable petite armée qui périclita plus tard comme tout le reste ; elle était recrutée par la conscription. Nous avons fait revivre ce système. Dès le mois de juin 1883, un recensement général fut prescrit, des commissions tunisiennes, assistées d’un officier français, parcoururent les provinces et procédèrent aux premiers recrutemens, non sans difficultés. Aujourd’hui (décret du 28 juin 1886), tout sujet tunisien tire au sort, — non, comme en France, une fois et à un âge déterminé, — mais de dix-huit à vingt-six ans, c’est-à-dire depuis sa première jeunesse jusqu’à l’âge mûr, une fois chaque année, et sert pendant deux ans, à moins que huit fois de suite il n’ait la chance d’amener un bon numéro; après le huitième tirage, il est libéré. Le remplacement est autorisé. Les cas d’exemption, qui étaient illimités, sont encore nombreux, mais strictement définis ; les prêtres et les