Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les journaux ont reproduit leurs griefs ; le protectorat a été déclaré coupable de ruiner le pays uniquement parce que les Tunisiens n’avaient plus le droit de gâcher leur eau sans la payer. On n’imagine pas le trouble qu’a pu produire une succession de décrets ou d’arrêtés comme ceux-ci : « Il est défendu de jeter des ordures, des eaux sales, des terres, des décombres, etc, devant les maisons. » — « Les chevaux ne pourront pas galoper dans les rues étroites. » — « Les voitures et les charrettes devront être inscrites, payer une taxe. » — « Les rues porteront chacune un nom écrit en blanc sur des plaques d’émail bleu, comme en Europe, et les maisons un numéro. » — « Les boutiquiers n’auront plus le droit d’étendre leurs étalages jusqu’au milieu de la chaussée. » — « Nul ne pourra installer de cabanes, de barraques, de cirques, de théâtres, d’exhibitions, etc., sur les trottoirs. » — Et encore : «La pêche et la chasse seront interdites à partir du... ; » ou bien: « Il est institué une fourrière, les chiens seront muselés et, en cas de contravention, saisis et pendus. » — Les cochons, les chameaux, les ânes n’ont pas échappé davantage à la réglementation. La date de chacune de ces décisions, et combien en ai-je omis, est celle d’une petite révolution.

Une seule amélioration a été tout de suite bien accueillie : l’éclairage de la ville au gaz. On peut se demander pourtant si, dans une ville aussi étendue que Tunis, où tout était à créer, l’installation de la lumière électrique eût été beaucoup plus coûteuse.

Plus d’une fois l’administration a dû reculer, et même céder, devant les préjugés, les croyances ou les traditions musulmanes, et non pas sur des questions insignifiantes, mais quand la salubrité de la ville, la vie de milliers d’habitans était en jeu. L’indifférence des Arabes en matière d’hygiène n’a d’égale que leur ignorance. Les cimetières musulmans, catholiques, grecs, protestans et juifs s’étendaient à côté des maisons, le long des rues les plus fréquentées. Les inhumations étaient faites sans aucun contrôle, précipitamment, dans les conditions les plus dangereuses; les chiens n’avaient qu’à gratter la terre, à peine fouillée, pour mettre en communication, dans les cimetières musulmans, les cadavres à peine refroidis avec l’air. La nécropole catholique était un marécage infect qui empoisonnait la promenade de la marine. Celles des Juifs et des Grecs ne valaient guère mieux. Il a fallu la peur du choléra, qui ravageait Marseille et l’Italie, pour grouper autour de l’administration tous les Européens et les israélites, qui avaient été jusque-là contre elle d’accord avec les Arabes. Des cimetières ont été ouverts hors la ville, les anciens sont aujourd’hui fermés; les inhumations ne se font plus sans une autorisation qui n’est donnée par la municipalité que sur le certificat d’un médecin. En