comptant chaque année ceux qui meurent, on pourra se faire une idée approximative du nombre des habitans de Tunis; les évaluations varient entre cent et cent trente mille, l’état civil étant inconnu jusqu’à présent dans la régence, et le recensement presque impossible dans les maisons arabes, hermétiquement fermées aux agens du fisc comme aux galans. L’année dernière (29 juin 1886), l’état civil a été institué, mais à titre facultatif : chaque indigène, chaque étranger est libre d’aller déclarer la naissance de ses enfans ou son mariage devant l’autorité française. Nous ferons ainsi peu à peu entrer cette formalité si importante, mais si occidentale, dans les mœurs arabes; peut-être un jour viendra-t-il bientôt où il sera sans inconvénient même de la rendre obligatoire.
Les cimetières n’étaient pas les seuls foyers d’infection dans les villes : les abattoirs, les hôpitaux, les prisons étaient généralement situés dans les quartiers les plus populeux. Ce que nous n’avons pas pu changer, nous l’avons autant que possible amélioré. Des hôpitaux ont été créés par l’armée, d’autres par le cardinal Lavigerie : nous avons trouvé un hôpital arabe bien installé et dont les revenus n’avaient pas été complètement dissipés; il pouvait contenir une centaine de malades, des fous, hommes et femmes séparés. Un établissement fondé par le général Kheireddine recevait les incurables. On ne saurait croire combien de tentatives généreuses et sages avaient été faites avant nous par des Tunisiens pour le bien de ce malheureux pays ; la cupidité de quelques favoris du bey et de leurs créatures avait toujours raison des intentions les meilleures. Comme un troupeau de chèvres déboise à lui seul une montagne en arrachant les jeunes pousses à mesure qu’elles sortent du sol, les aventuriers du Bardo se jetaient sur les revenus de l’état, des mosquées, des pauvres, des malades eux-mêmes, et n’en laissaient rien. Tout l’Orient est ainsi couvert d’édifices élevés par l’intelligence d’un souverain ou la charité d’un homme pieux : ces édifices restent debout; mais entrez dedans, ils sont vides, comme un fruit qu’un ver a rongé.
Dans chaque ville, les égouts sont à créer ; à Tunis, des canaux informes, sans autre radier que le sol, en ont tenu lieu jusqu’aujourd’hui; dans ces cloaques toujours obstrués s’accumulent les immondices de la ville entière. Une forte pluie en hiver ou un orage en été les fait s’écouler dans le lac, qu’elles comblent ainsi lentement depuis des siècles ; mais en temps ordinaire, faute de pente, et la terre étant saturée d’infiltrations, on ne s’en débarrasse qu’avec la pelle et des charrettes. Par quel miracle ou par l’effet de quel vent bienfaisant la santé de la ville résiste-t-elle à tant d’incurie? Nul ne saurait le dire, mais il en est ainsi : Tunis est aussi saine qu’elle sent mauvais. Cependant, ne serait-ce que par respect humain