C’est ce dont Hegel avait, du reste, lui-même la conscience, puisque, pour bâtir son système, il lui donnait pour base l’identité du pur être, sans rien de plus, avec le pur néant.
La cause première de l’erreur qu’Aristote vient redresser, en fondant la métaphysique, c’est donc que jusqu’alors on ne s’est fait de l’être, qu’il s’agit d’expliquer, qu’une idée confuse, en prenant pour existant véritablement ce qui n’existe qu’en un sens dérivé et impropre. Cela seul est véritablement qui est en soi seul : c’est ce qu’on nomme substance ; les accidens d’une substance, attributs qu’expriment dans le langage les adjectifs, ne sont qu’en elle, et hors d’elle ne sont pas, sinon dans des idées et des mots. En conséquence, la première chose qu’on doive faire dans la recherche des premiers principes est de distinguer les genres de l’être ou catégories. Le premier résultat de ce travail est de séparer de la catégorie principale, c’est-à-dire des substances, êtres proprement dits, les catégories secondaires qui contiennent les simples attributs ou accidens. Cette séparation fait voir aussitôt combien a été grande l’erreur de ceux qui ont cherché dans la quantité, que représentent les nombres, l’explication de l’être.
Ce qui a causé cette erreur, c’est encore une illusion de la pensée, qui lui est naturelle, et qui résulte du besoin qu’elle éprouve, dans la condition où nous sommes, du concours de l’imagination, toute voisine des sens, à laquelle ressortit la quantité. Suivant une importante remarque d’un philosophe français du commencement de ce siècle, nous ne nous faisons d’une qualité une notion distincte et précise, donnant lieu à science, qu’autant que nous la traduisons en étendue et en nombre. C’est ce dont offrent des exemples le baromètre et le thermomètre, où les espaces que parcourt un liquide nous servent à mesurer le poids de l’air et la chaleur. De là une forte inclination à prendre, comme le fait le matérialisme, pour les choses mêmes, puissances, forces indivisibles, les quantités qui y correspondent et par lesquelles on les estime. C’est l’explication du matérialisme, réduisant aux conditions géométriques et mécaniques des choses, c’est-à-dire à leurs parties imaginables, les choses mêmes.
Pour le dire en passant, c’est parce que Kant a cru, après Hume et Locke, que l’esprit ne saurait rien saisir hors du champ de l’imagination, c’est parce qu’il a conçu la substance, qu’a en vue la métaphysique, comme un substrat d’apparences sensibles, invisible et inaccessible sous ces apparences, mais pourtant de nature analogue (c’est ce qu’il appelle « la chose en soi »), que la métaphysique lui a semblé impossible, et qu’il a considéré l’être comme un objet non de connaissance, mais seulement de croyance. Descartes