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aussi chez l’homme la liberté du vouloir, dont les partisans des nombres et des idées avaient fait peu d’état. Jusque dans les passions, où ceux-ci n’avaient rien vu qui ne s’opposât à la tranquillité d’âme, en laquelle seule ils plaçaient la perfection et le bonheur, il sut apercevoir un fond d’activité par où elles fournissaient à la vertu sa substance.

Si donc les Pythagoriciens et les Platoniciens avaient eu raison de chercher les principes au-dessus de l’horizon de la nature, où s’étaient presque entièrement confinés leurs prédécesseurs, ils avaient eu tort de s’arrêter comme au milieu du chemin qu’ils avaient ouvert. Ils croyaient atteindre aux causes premières : ils s’en tenaient à des choses de second ordre, participant encore de l’inerte et passive matérialité. Ils croyaient s’élever de la région des sens à celle où brille la pure intelligence : ils en restaient à la région moyenne où travaille, sur des données de la sensibilité et de l’imagination, le raisonnement. Leibniz a dit : les principes des mathématiques et ceux du matérialisme sont les mêmes. ils sont les mêmes, et semblablement ceux d’un idéalisme qui cherche les raisons des choses dans les notions générales. sur lesquelles s’exerce, non sans le concours encore de l’imagination, l’entendement; ces notions, en effet, étant abstraites des réalités, qui sont autant d’individus, plus elles sont générales, plus elles s’éloignent de l’existence réelle; et de la sorte, dit le grand aristotélicien du XVIe siècle, Cesalpini, tandis qu’on s’imagine, par les degrés successifs de la généralisation, avancer de plus en plus dans l’être, on tend de plus en plus au rien. On se rapproche ainsi, en croyant s’éloigner du matérialisme, du nihilisme auquel, rigoureusement analysé, il se réduit.

D’où vient l’illusion qui fait ainsi tourner le dos au but que pour- tant on se propose, et descendre alors qu’on veut monter? Elle vient de ce que l’entendement assimile à l’unité réelle et naturelle, que donne aux réalités l’action qui les fait être, l’unité factice et artificielle par laquelle, en formant ses idées, il l’imite. Cette unité factice est celle des genres et des espèces, qu’on a réunis, dans l’École, sous la dénomination d’universaux. L’entendement, donc, prenant pour simple ce qu’il a, comme l’explique Descartes, composé, fait de ses créations, signes de ce qu’il abstrait des choses, des choses aussi, sans s’apercevoir qu’il y met du sien à proportion qu’y diminue la réalité, en sorte que sous sa plus parfaite généralisation se cache le plus parfait vide.

Le monde logique, tel par exemple que le constitue l’idéalisme hégélien, offre, pourrait-on dire, une image renversée du monde réel.