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détails en ensembles, ne peut être que l’application au multiple d’une simplicité primordiale. L’unité de l’armée, disait Aristote dans la conclusion de sa Métaphysique, vient de la simplicité du chef.

On peut ajouter que, dominant ainsi le mouvement successif qui rapproche d’elle les choses, sans descendre de sa hauteur dans la région du temps, que parcourent l’imagination et le raisonnement, la pensée ou intellection pure les considère, suivant l’expression de Spinoza, sous une forme d’éternité.

Ce que Pascal appelle souvent esprit de finesse, souvent aussi il l’appelle sentiment; terme auquel on aurait tort d’attacher une idée de pure passivité, car ici il désigne une opération, une action de l’esprit et sa plus véritable action. Aussi Pascal dit-il que le sentiment dépend d’un jugement, qu’il oppose à l’esprit. Et enfin, à l’idée de jugement, il joint celle de règle. Dans un paragraphe des Pensées, en tête duquel il a écrit ce titre : « Géométrie, finesse, » il s’exprime ainsi avec son ordinaire vivacité : « La vraie éloquence se moque de l’éloquence, la vraie morale se moque de la morale; c’est-à-dire que la morale du jugement se moque de la morale de l’esprit, qui est sans règles. Car le jugement est celui à qui appartient le sentiment, comme les sciences appartiennent à l’esprit. La finesse est la part du jugement, la géométrie est celle de l’esprit. »

De ce passage il ressort plus nettement que d’aucun autre que de l’esprit de géométrie dépendent d’une manière générale les sciences, et de l’esprit de finesse les arts, dont l’éloquence est ici un échantillon ; que traiter l’art et la morale géométriquement et comme des sciences est les fausser ; que l’esprit de finesse est, par opposition à l’esprit de raisonnement ou de déduction, une faculté d’appréciation immédiate à laquelle convient tout particulièrement le nom de jugement ; enfin, que la morale et l’art du jugement ont leurs règles, tandis que la morale et l’art de l’esprit n’en ont point.

Leibniz pensait un peu autrement, lui qui aurait voulu en morale des démonstrations géométriques. Mais on peut dire qu’en ce point important il a été moins conséquent que Pascal à ce qu’il y avait de commun dans leurs principes, moins fidèle à la distinction qu’il établissait, comme Pascal, entre l’ordre géométrique et l’ordre esthétique et moral. C’est qu’en effet il n’y eut pas en lui une conscience aussi nette de ce qui se trouve dans l’ordre moral et esthétique, et, par suite, dans la métaphysique, de différent de l’autre ordre et de supérieur. Plus intellectualiste, si l’on peut hasarder ce terme, il ne comprit pas de même et n’estima pas au même degré la volonté. C’est ce qui explique peut-être pourquoi il réussit