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peu et même n’alla pas loin dans l’entreprise qu’il avait formée de composer une langue philosophique où les idées de toute nature seraient représentées par des signes qui seraient des élémens de calcul. Il s’agissait, il est vrai, d’un calcul de nature supérieure, auquel il donnait aussi le nom de philosophique. Mais, quel que pût être d’ailleurs ce calcul, puisqu’il y fallait toujours des élémens rationnellement définissables, l’instituer n’était pas un des- sein dont permît d’espérer beaucoup de succès la nature des choses auxquelles se rapportait l’esprit de finesse, telles que les comprenait Pascal, ces choses tout intelligibles que Leibniz proclamait lui-même, le plus souvent, toutes différentes des choses mathématiques et matérielles.

Faut-il conclure maintenant des expressions de Pascal, qu’à son avis la vraie morale n’a aucune espèce de principes? Au contraire, ses expressions indiquent qu’à son avis celle-ci, et celle-ci seule, a des règles. Et évidemment il en est de même de la véritable éloquence qu’il rapproche de la véritable morale, et même, plus généralement, du véritable art.

Qu’est-ce donc, dans la morale du jugement, ou vraie morale, que la règle? Pascal n’en a pas traité expressément. Mais il s’est expliqué avec quelque détail sur la règle dans l’art. Et puisqu’il assimile, en tant que ressortissant également au jugement, la véritable morale et le véritable art, on peut de ce qu’il a dit sur la règle dans l’art conclure à ce qu’il pensait de la règle dans la morale.

Pour Pascal, la perfection de l’art est dans le naturel : la grande règle est de ne s’en écarter jamais. Les auteurs qu’il désapprouve le plus sont ceux qui chargent l’objet qu’ils représentent d’orne- mens étrangers sous lesquels on ne le reconnaît plus. A la poésie, à l’éloquence, il demande de naïves images de ce qui est. « Il faut de l’agrément, » car « l’agrément est l’objet même de la poésie; » — « mais il faut que l’agrément soit pris du réel. » Aussi est-on charmé lorsque dans un ouvrage, « croyant trouver un auteur, on trouve un homme; » un homme, c’est-à-dire quelqu’un qui a senti ce qu’il veut peindre, et qui, dès lors, le peint avec vérité.

De ces paroles on induirait à tort qu’il faut ranger Pascal parmi ceux suivant lesquels tout l’art consisterait dans la représentation matériellement exacte d’objets quelconques. Une telle représentation offrirait peu d’agrément. « Quelle vanité, » s’écrie Pascal, dans un de ces endroits où il indique des difficultés sans s’occuper encore de les résoudre, a quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on n’admire point les originaux! » Mais c’est que, indépendamment de ce que c’est une chose qui plaît par elle-même que l’imitation, qui est, comme on l’a