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que dans une charcuterie apparaisse toujours un homme maigre? Hé! non, je sais bien qui le veut : c’est l’imagination logique de l’auteur. Aux yeux de son esprit seulement, un tel milieu détermine un tel personoage : et pourquoi? Apparemment parce que la valeur d’une telle figure sur un tel fond satisfait son instinct du coloris, M. Zola n’est pas le premier poète qui, par goût de la symétrie, réalise une antithèse. Oyez plutôt l’admonestation qu’il adressait naguère, ingénument, à son grand rival en cet art : « Pour Victor Hugo, tout se résume en l’emploi pittoresque des prétendus élémens du réel. Pour lui, le grotesque n’est pas, au fond, un document humain qu’il donne par un besoin de vérité; il n’est jamais qu’une opposition heureuse d’un bel effet artistique. »

Une « opposition, » indiquée dans un tableau de cette pièce et un peu plus marquée dans un autre, eût-elle suffi à éveiller et à soutenir l’intérêt? M. Busnach, apparemment, ne l’a pas pensé. D’accord avec M. Zola, il a inventé une combinaison d’événemens que le roman ne faisait pas prévoir. Il a donné pour maîtresse à Florent, juste avant l’exil, la fille de Mme Méhudin, l’illustre poissarde ; il l’a ornée d’un fils ; il a tenu cette naissance secrète. Au public seulement il a révélé ce passé, dans une exposition assez conforme aux coutumes du théâtre. Il a laissé défiler ensuite les décors nouveaux commandés par le romancier : l’avenue de la Grande-Armée, le carré des Halles, la charcuterie. Après ces amusemens, il a même laissé le spectateur se reposer un peu. Et soudain, alors qu’on ne l’espérait plus, il a fait éclater le drame : un coup de foudre dans un ciel languissant! C’est Mme Méhudin, ici, qui a dénoncé Florent à la police : elle le trouvait trop occupé de sa fille. Elle se vante bravement de cette précaution tardive ; et, comme sa fille lui réplique avec rage, elle lève sur elle sa robuste main. Mais le petit garçon était caché derrière la porte ; il s’élance : « Ne faites pas de mal à maman ! » Mme Méhudin aussitôt chasse la mère et l’enfant. Sur le seuil, l’innocent se retourne ; et, conseillé par un vieil ami, le père François, il se rapproche : « Dis, grand’mère, c’est pour toujours que tu nous renvoies?.. Si c’est pour toujours, veux-tu alors que je t’embrasse, dis, grand’mère? » À ce nom, la gorge géante palpite; et, sous cette gorge, après quelques angoisses, le cœur se fond. Sur la scène, on pleure et l’on s’embrasse; dans la salle, on pleure et l’on applaudit. A merveille! Depuis le Petit Jacques, représenté à l’Ambigu, on ne s’était pas mouché avec tant de plaisir : M. Busnach est celui de nos dramaturges qui fait le meilleur usage de l’enfant.

Mais le drame que voilà, n’est-ce pas un mélodrame? Plusieurs ont osé le dire, et M. Zola les a pris en pitié. A son zèle d’avocat et d’associé pour la gloire de M. Busnach nous devons accorder que cette combinaison d’événemens est simple, et que les sentimens qu’elle fait