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Maussion, cette offre a été, dit-on, renouvelée trois fois. Ne semble-t-il pas, ce général, un seigneur de la Ligue ou de la Fronde traitant avec l’Espagne de la remise d’une province? Il est impossible d’avoir des manières plus distinguées et plus aisées en même temps. C’est tout à fait un seigneur, mais né deux cents ans trop tard. Au reste, deux cents ans plus tôt, on lui aurait fait trancher la tête : à présent, le général Bugeaud, après lui avoir fait tout avouer devant témoins, se contente de lui donner un congé de convalescence et un bâtiment qui va le porter à Carthagène; là, il deviendra ce qu’il pourra. Je ne serais du reste pas étonné que cet honnête homme, dont l’effronterie dépasse toute idée, reparût bientôt à Paris pour calomnier celui qui n’a pas voulu le faire fusiller. Au reste, il ne faut pas attribuer à ce projet de trahison une importance exagérée. M. de Brossard n’aurait pas pu livrer à Abd-el-Kader une place fermée et contenant une nombreuse garnison. Je regarde sa proposition comme une simple escroquerie. Quoi qu’il en soit, l’affaire vaut la peine qu’on y pense, et le gouvernement qui envoie ici avec raison les soldats les plus dérangés et les plus insubordonnés, qui encourage les gens remuans et aventureux à s’y porter, devrait prendre garde au choix des chefs qu’il met à leur tête. »

Ce qu’avait prévu M. de Maussion arriva de point en point : M. de Brossard ne resta pas en Espagne, revint en France et calomnia le général Bugeaud. Par une clause particulière du traité de la Tafna, l’émir devait payer une somme de 100,000 boudjous, équivalente à 180,000 francs en monnaie française, que le général se réservait d’employer ainsi : 100,000 francs pour subvention aux chemins vicinaux de la Dordogne, 80,000 à répartir entre les officiers et les soldats les plus méritans de son corps d’armée. Le gouvernement n’ayant pas approuvé la clause, il n’y fut pas donné suite ; mais M. de Brossard, qui la connaissait, la dénonça comme un acte criminel au conseil de guerre séant à Perpignan, devant lequel il comparut, dans les derniers jours du mois d’août 1838. Ainsi mis en cause, le général Bugeaud eut le tort de se laisser emporter à des vivacités de langage qui lui attirèrent de cruelles représailles, de sorte que, « maintenant encore, dit l’auteur des Annales algériennes, il faut que l’esprit se recueille un instant pour se rappeler lequel des deux était l’accusé dans ce procès si scandaleusement célèbre.» Des quatre chefs d’accusation relevés à la charge de M. de Brossard: concussion, tentative de corruption de fonctionnaires publics, immixtion dans des affaires incompatibles avec ses fonctions militaires, proposition de complot et d’excitation à la guerre contre l’autorité royale, le conseil de guerre ne retint que le troisième. Condamné à six mois de prison et à 800 francs d’amende, déclaré en outre incapable d’exercer aucune fonction publique, M. de Brossard