Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se pourvut en révision contre le jugement, qui fut cassé pour vice de forme; un autre conseil de guerre l’acquitta l’année suivante ; mais le ministre de la guerre le mit d’office à la retraite.

Ce fatal traité de la Tafna était devenu le cauchemar de son auteur. un jour, le 8 juin 1838, à la tribune de la chambre des députés, embarrassé dans ses explications, il s’en tira tout d’un coup en s’écriant : « Si les esprits belliqueux qui se trouvent dans cette chambre ou au dehors veulent recommencer la guerre, il n’y a rien de plus facile. Venez ici, à la tribune, demander au gouvernement de rompre le traité... Eh ! messieurs, les traités n’ont jamais lié les nations que lorsqu’ils sont conformes à leurs intérêts; mais, sans avoir besoin de violer le traité nous-mêmes, l’émir nous fournira souvent l’occasion de le rompre. »

Avant de partir d’Oran, le général Bugeaud avait eu à résoudre la question des relations officielles entre l’autorité française et l’émir. Celui-ci eut des oukils dans les villes du littoral ; un officier français Dut résider à Mascara; le premier qu’on y envoya, le commandant Menonville, du 47e, devint fou et se tua; en attendant l’arrivée du capitaine Daumas, qui devait prendre sa succession, le lieutenant-colonel de Maussion fit pendant une quinzaine de jours l’intérim. « Ce matin, écrivait-il, le 3 novembre 1837, on a remis au sultan les présens du roi ; il en a été très flatté, et les Arabes ont été dans l’admiration. Il est certain que rien d’aussi beau n’a paru dans ces contrées depuis la chute de la domination romaine. Je me trouve très bien à Mascara, ville presque ruinée, mais bien située et entourée de jardins auxquels il ne manque que d’être cultivés pour être superbes. Ne vous imaginez pas que les ruines proviennent en général des Français; elles viennent des habitans qui, ayant abandonné les maisons, en ont brûlé le bois pour se chauffer. Le sultan ne veut plus vivre que sous la tente, depuis qu’il a éprouvé que les villes ne peuvent nous résister; en conséquence, très peu de hadar se sont rétablis ici. » Mascara restait nominalement la capitale d’Abd-el-Kader ; c’était plus loin dans le sud-est, à Takdemt, qu’il avait transféré le siège réel de sa puissance, ses ateliers, ses magasins, son trésor.


III.

D’Oran à Constantine, le contraste était aussi frappant que possible : là-bas, à l’ouest, sur ce coin de terre abandonné comme par grâce à la France, l’inertie, la torpeur; ici, à l’est, sous les premiers rayons du soleil, l’espace, l’activité, la vie. De ce côté, c’était le gouvernement qui ne pouvait se faire à l’idée d’une telle fortune: puis s’établir définitivement dans Constantine, si loin de la mer,