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lui que des ruines. Le 12, il fit ouvrir par la mine de larges brèches dans ces murs qui lui avaient fait résistance, et l’œuvre de destruction fut achevée par les mains cupides des Arabes, accourus à la curée comme des bandes de chacals. Abd-el-Kader fit partout célébrer l’occupation équivoque d’Aïn-Madhi avec autant d’éclat que le plus mérité des triomphes. La proclamation suivante fut faite à Mascara : « l’émir est entré dans Aïn-Madhi; il faut se réjouir d’une aussi éclatante victoire ; en conséquence, il est ordonné à tous ceux qui ont chevaux et fusils de faire la fantasia et à tous ceux qui ont des boutiques de les orner de leur mieux, sans quoi leurs biens ne suffiront pas pour racheter leurs têtes. » La jubilation ou la mort!

Après plus de sept mois d’absence, Abd-el-Kader était rentré à Takdemt, le 26 janvier 1839; peu de jours après, appelé par une maladie de sa mère, il vint s’établir à Bou-Korchefa, près de Miliana. C’est là que le commandant de Salles, aide-de-camp du maréchal Valée, put enfin le joindre. L’émir, qui s’attendait à sa venue, avait convoqué les khalifas de Tlemcen, de Mascara, de Médéa, du Sebaou, les caïds, les grands des tribus. Devant eux, il reçut avec un dédain superbe les riches présens que lui envoyait le maréchal, puis il réclama deux esclaves appartenant à son premier khodja, et qui s’étaient enfuis à Alger. Le commandant Pellissier, directeur des affaires arabes, s’appuyant de l’autorité du procureur-général, soutenait ce principe que la terre de France rend libre tout esclave qui la touche; néanmoins les misérables furent arrêtés, conduits jusqu’à la frontière par les gendarmes maures et remis entre les mains des Hadjoutes. Le commandant Pellissier donna aussitôt sa démission, et le gouverneur nomma le capitaine d’Allonville à sa place. L’acte du maréchal fut cependant blâmé par le ministre de la guerre. Peu de temps après, un cas plus grave s’étant présenté, — Car il s’agissait d’un nègre de la garde de l’émir, — L’extradition fut refusée. Les complaisances du maréchal n’eurent pas plus d’effet que ses présens ; lorsque son aide-de-camp pressa l’émir de s’expliquer enfin sur la question des limites, Abd-el-Kader se retrancha derrière l’avis de son grand conseil, unanimement déclaré contre la convention acceptée par Ben-Arach et pour 1er maintien absolu du traité de la Tafna. Le commandant de Salles dut reprendre le chemin d’Alger sans avoir rien obtenu.

Cependant l’émir ne voulait rompre qu’à son heure et sans se donner les apparences de la rupture. Afin de gagner du temps, il fit rédiger par son secrétaire français des lettres pour le roi, pour la reine, pour le duc d’Orléans, pour le maréchal Gérard et pour M. Thiers. Il n’y en eut pas moins de trois successivement adressées au roi Louis-Philippe. Voici les passages les plus expressifs d’une de ces lettres : « Depuis la fondation de l’islamisme, les musulmans