Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les chrétiens sont en guerre; pendant des siècles, ce fut une obligation sainte pour les deux croyances ; mais les chrétiens, négligeant leur religion et ses préceptes, ont fini par ne plus considérer la guerre que comme un moyen humain d’agrandissement. Pour le véritable musulman, au contraire, la guerre contre les chrétiens reste obligatoire dans tous les cas, à plus forte raison lorsque les chrétiens envahissent le territoire des musulmans. D’après ce principe, je me suis donc écarté des préceptes de ma religion lorsque j’ai conclu avec toi, roi des chrétiens, un traité de paix, il y a deux ans, et surtout en cherchant aujourd’hui à consolider cette paix pour toujours. Grand roi des Français, Dieu nous a désignés l’un et l’autre pour gouverner quelques-unes de ses créatures, toi dans une position bien supérieure à la mienne par le nombre, la puissance et la richesse de tes sujets ; mais il nous a imposé pareillement l’obligation de les rendre heureux. Examine donc et tu reconnaîtras que de toi seul dépend le bonheur des deux peuples... « Signe ou ne signe pas, me dit-on, mais ton refus sera la guerre. » Eh bien ! moi, je ne signe pas et je veux la paix, rien que la paix. Seras-tu compromis, toi, sultan de la nation française, de la nation la plus puissante du monde, en faisant des concessions à un jeune prince dont le pouvoir commence à peine à s’affermir sous ton ombre? Ne dois-tu pas me protéger, me traiter avec indulgence, moi qui ai rétabli l’ordre parmi ces tribus qui s’égorgeaient, qui tâche chaque jour de faire naître chez elles le goût des arts et des utiles professions? Aide-moi donc au lieu de m’entraver, et Dieu te récompensera. Si la guerre éclate de nouveau, je n’ai pas l’orgueil de croire que je pourrai tenir ouvertement tête à tes troupes, mais je les harcellerai sans cesse; je perdrai du territoire sans doute, mais j’aurai pour moi la connaissance du pays, la frugalité et le dur tempérament de mes Arabes, et surtout le bras de Dieu, qui soutient toujours le faible opprimé. Que Dieu t’inspire une réponse digne de ta puissance et de la bonté de ton cœur ! » Toutes ces lettres, renvoyées au maréchal Valée, demeurèrent sans réponse.

À ce moment, le gouvernement traversait la célèbre crise connue dans notre histoire parlementaire sous le nom de la coalition. Le cabinet dans lequel une place allait être faite au maréchal venait de succomber; sa chute devait-elle entraîner celle du gouverneur de l’Algérie? Le maréchal n’en douta pas; il envoya sa démission. Le roi refusa de l’accepter et lui demanda d’attendre au moins la naissance du futur ministère. Après trois mois d’un enfantement plus que laborieux, le nouveau-né vint enfin au monde, le 12 mai 1839. Le général Schneider, nommé ministre de la guerre, s’empressa de dépêcher au maréchal Valée le colonel d’état-major de La Rue pour