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dans le chemin de Bougie, elle fit tout à coup tête de colonne à gauche et prit la direction de Bordj-bou-Areridj ; mais cette direction, c’était celle des Biban, des fameuses Portes de fer, la direction d’Alger ! À cette révélation soudaine de la pensée du chef, l’enthousiasme envahit les rangs avec d’autant plus de force que le secret du maréchal avait été mieux gardé. Le soir, le bivouac fut établi près de Bordj-Medjana. Le 27, au lieu de la plaine aride et nue que l’expédition avait traversée depuis Sétif, elle trouva un pays charmant, raviné, arrosé, vêtu de la plus admirable verdure ; c’était au bivouac seulement que l’attendait un fâcheux déboire : le ruisseau limpide où tous les bidons allaient à l’envi se remplir, l’Oued-Bouktoune, charriait dans ses eaux perfides, chargées de sulfate de magnésie, un violent purgatif. Le 28, à l’aube, un ordre du jour annonça que la première division, augmentée du 17e léger et de deux escadrons, allait traverser les Portes de fer, tandis que la seconde reprendrait le chemin de Constantine. On se mit en marche ; au bout d’une heure, la vallée de l’Oued-Bouktoune, réduite aux étroites proportions d’un ravin, parut barrée par une gigantesque muraille. Pendant les anciens âges, une convulsion géologique y a fait deux cassures, la grande Porte et la petite; ce fut dans celle-ci que s’engagea la division d’Orléans. « La sombre horreur de ce défilé, a dit le général Changarnier plus tard, dépassa l’idée que nous nous en étions faite. Pendant 6 kilomètres, un ruisseau, un filet d’eau que deux heures de pluie élèvent à 7 ou 8 mètres, circulait entre deux parois de roc, absolument dénudées, exactement perpendiculaires, dont la hauteur varie de 80 à 150 mètres, et si rapprochées l’une de l’autre que nous fûmes obligés de modifier le chargement des mulets. Avec le beau temps, avec le ruisseau réduit à son minimum, il fallut sept heures à notre faible colonne pour faire ces 6 kilomètres. Si l’orage, qui nous a inondés une demi-heure après notre sortie, nous avait assaillis pendant que nous cheminions sur une seule file entre les impitoyables parois, nous aurions tous été noyés. La pluie tombée pendant notre séjour à Sétif avait laissé du limon à trente pieds de hauteur. » Sur une des parois du défilé, on put désormais lire cette simple inscription, gravée par les soldats : « Armée française 1839. »

Le 29, on fit une grande halte chez les Beni-Mansour, pour abreuver chevaux et mulets, qui, depuis cinquante-deux heures, étaient restés sans boire. Là on eut les premières nouvelles de Ben-Salem, que les Arabes disaient être campé à trois lieues environ dans le sud ; on saisit des courriers d’Abd-el-Kader, qui s’en allaient appeler, pour un temps prochain, les Kabyles à la guerre sainte. Le 30, une heure avant le jour, le duc d’Orléans se porta rapidement avec