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de sa cuisine à toutes les affaires publiques. Il fit l’administration prussienne à son image : dure, méthodique, précise. Ses courses dans les provinces, canne en main, accoutumèrent ses fonctionnaires à une discipline dont la tradition ne s’est plus perdue. Il est vrai qu’il ne sut pas se faire respecter au dehors. La diplomatie n’était pas son fait. Il était tout salpêtre avec les ambassadeurs comme avec le reste des humains. Un jour, il leva la jambe pour donner un coup de pied à l’envoyé d’Angleterre, et cela fit manquer une négociation. Jamais il ne pouvait s’empêcher de chanter pouille sur quoi que ce fût, devant n’importe qui, ni de faire à toutes les cours mille petits manèges brouillons. Les autres souverains le connaissaient et ne s’y fiaient point.

L’armée était son œuvre. C’est lui qui eut l’idée qu’un Prussien doit naître avec un casque et qui le persuada à la nation. L’un des plus vieux souvenirs de la margrave de Bayreuth était d’avoir vu soudain la cour et la ville en uniforme à la mort de son grand’père Frédéric Ier : « Tout changea de face à Berlin, écrit-elle. Ceux qui voulurent conserver les bonnes grâces du nouveau roi endossèrent le casque et la cuirasse : tout devint militaire. » A quatre heures du matin, Frédéric-Guillaume était sur la place du Palais, commandant l’exercice. Le régiment prussien devint entre ses mains la mécanique parfaite qui a servi de modèle à ses descendans. Lui-même fut un roi pacifique à force d’aimer l’armée : il aurait craint de gâter ses régimens en les envoyant à la guerre. Il y en avait un surtout, composé d’hommes de six pieds, la joie de ses yeux, son orgueil et ses amours, qu’il ne pouvait se résoudre à perdre de vue. Pour le grand régiment, Frédéric-Guillaume devenait prodigue et patient. Afin d’avoir tous les géans de l’Allemagne et pour qu’ils fussent pimpans à la parade, il faisait des folies et endurait des avanies. Il envoyait hors de Prusse enrôler les géans à prix d’argent; s’ils refusaient, il les faisait enlever de force, au risque de furieux désagrémens avec les souverains étrangers; mais c’était pour le grand régiment, et, pour lui, le roi était capable de tout, excepté de rendre un beau soldat. Il se dédommageait de ses efforts de patience chez lui, avec sa famille.


II.

La petite princesse Wilhelmine était vive et intelligente. La nature l’avait faite gaie, et le chagrin ne put jamais l’assombrir définitivement. A la première éclaircie, la bonne humeur reparaissait et elle redevenait elle-même, espiègle, adorant la danse et hardie à faire des niches. A l’âge de six ans, elle sut que son père projetait de la fiancer à un prince de quinze ans