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tel, que le roi sauta sur son fils, le fit pirouetter et le poussa vivement hors de la chambre ; mais c’était une erreur, une politesse mal placée, qu’il promit de ne pas renouveler. Il est vrai que le roi Auguste faisait encore d’autres choses qui ne se peuvent raconter, mais sa cave était si bonne !

Le roi Auguste fut donc agréé et autorisé à faire sa cour. Quatre mois après, il arriva à Berlin (29 mai 1728), et l’on mena à la princesse Wilhelmine ce charmant fiancé, que la pourriture n’avait pas eu la patience d’attendre au tombeau. Il lui présenta d’un air affable quelques-uns de ses trois cent cinquante-quatre futurs beaux-enfans, et tout se passa le mieux du monde. Frédéric-Guillaume, dans la joie d’avoir mis la main sur un si beau gendre, donna un dîner où l’on mangea neuf heures de suite : il n’y avait point prié la reine ni ses filles : pas de bouches inutiles. Deux heures après être sortis de table et encore ivres, les deux souverains se remirent à boire. Il y eut plusieurs grandes fêtes au palais, illumination dans Berlin, et le fiancé retourna dans ses états préparer ses noces. Des raisons politiques brouillèrent les cartes à temps, mais la princesse Wilhelmine l’avait échappé belle. Chose singulière, le roi Auguste ne lui avait point inspiré d’aversion. Elle avait eu une légère bouffée de vanité en devenant tout à coup une manière de personnage, objet des attentions d’un monarque et de sa suite. Pour une pauvre Cendrillon, le changement était grand et agréable, et elle en sut gré au roi Auguste, quoique étrangement au fait pour une jeune fille des débauches et des maladies de ce prince. il lui disait « beaucoup de choses obligeantes, » et puis il était roi, et, dans ce temps-là, c’était encore d’un grand effet.

Aussitôt après le roi de Pologne, Frédéric-Guillaume adopta pour prétendant un cadet de famille nommé le duc de Weissenfels, galant homme et jeune, mais si mince compagnon que la reine Sophie-Dorothée était hors d’elle-même à la pensée d’une telle mésalliance. Nous reviendrons à ce duc. A l’époque où nous sommes arrivés, le sort de la princesse Wilhelmine devient si étroitement lié à celui de son frère Frédéric qu’il est impossible de ne pas rappeler brièvement le procès Katt, afin de marquer le rôle que la princesse y joua et les causes qui redoublèrent la haine du roi son père.


V.

Le coin de folie de Frédéric-Guillaume s’agrandissait avec les années. Ses colères devenaient du délire; en 1729, il se passa une corde autour du cou et allait étouffer si la reine n’était venue à son secours. Son avarice augmentait aussi; le peu qu’on servait