lui donnai pas le temps de m’en dire davantage, continue la margrave, et je le quittai... J’étais bien éloignée de penser que mes tristes prédictions s’accompliraient sitôt. »
Peu de jours après, la reine profita d’un voyage du roi pour divertir sa fille. Elle donna un bal (16 août 1730). « Il y avait plus de six ans que je n’avais dansé, disent les Mémoires; c’était du fruit nouveau et je m’en donnai à gogo. » Au milieu du bal, on vit la reine s’entretenir à l’écart avec ses dames et devenir soudain très pâle. Frédéric, qui suivait son père, venait d’être arrêté au moment où il s’évadait. Le roi l’aurait tué sur place si des généraux ne l’avaient ôté de ses mains, et il fallait s’attendre à tout. Ces nouvelles éteignirent brusquement la gaîté au palais. La reine fut reine dans son angoisse : elle ne pleura pas, n’interrompit pas les danses, attendit un instant avant de donner le bonsoir et de se retirer avec sa fille. Rentrées dans leurs appartemens, toutes deux débutèrent par les larmes et les évanouissemens, après quoi elles avisèrent.
Le seul service qu’elles pussent rendre au prisonnier était de détruire ses papiers. Il est vrai que le service était immense. La famille royale avait une intempérance de plume dont on demeure confondu sous un monarque soupçonneux, qui ne se faisait pas faute d’ouvrir les lettres. Ils s’écrivaient continuellement les uns aux autres, la reine en tête, sur le roi et ses favoris, de quoi les faire tous passer en jugement si les lettres étaient surprises, et Frédéric gardait ses correspondances. Il fallut découvrir sa cassette, cachée hors du palais, rompre les scellés, limer le cadenas, brûler les lettres compromettantes, dont environ quinze cents de la reine et de sa fille aînée, en fabriquer d’autres pour remplir les vides, se procurer un cachet afin de rétablir les scellés. La princesse Wilhelmine fut incomparable de présence d’esprit et d’activité. Sa pauvre tête de mère la harassait par ses agitations, ses frayeurs, ses bavardages absurdes. Elle vint néanmoins à bout de tout, si ce n’est d’empêcher la reine de refermer la cassette avant qu’il y eût assez de fausses lettres pour la remplir. La peur d’être surprise par le roi fut trop forte. La reine se crut très habile de combler les vides avec des nippes, vit remettre les scellés et respira. D’après les Mémoires, ce devait être le 22 ou le 23 d’août, et l’on était sans nouvelles de Frédéric depuis son arrestation.
Le 27, à cinq heures du soir, le roi revint de voyage. Du plus loin qu’il aperçut la reine, il lui cria : « Votre indigne fils n’est plus; il est mort. — Quoi! vous avez eu la barbarie de le tuer? — Oui, vous dis-je; mais je veux la cassette. » La reine éperdue criait sans discontinuer : « Mon Dieu ! mon fils! mon Dieu! mon fils ! Ses enfans effrayés s’agitaient. Frédéric-Guillaume avait aperçu sa fille aînée, et son accès le prenait : « Il devint tout noir, ses yeux