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Il avait pris des engagemens pour leur vendre Pondichéry bien avant la reddition de la place, et l’argent était prêt depuis longtemps. Il n’avait assiégé Madras que pour vendre au gouverneur Pigot l’honneur de défendre la ville. Bien plus, il n’avait imposé des conditions si dures au fort Saint-David que pour forcer le gouverneur anglais à les refuser et pour lui procurer, — Lui vendre sans doute ? — L’honneur d’une belle défense; malheureusement le gouverneur n’avait pas entendu à demi-mot et s’était lâchement rendu. Toutes ces absurdités étaient émaillées d’apostrophes, d’imprécations ; les épithètes de monstre, de scélérat, de bête féroce revenaient à chaque page : Lally était un possédé, le diable résidait en lui. Le superstitieux conseiller terminait son roman par une apostrophe lyrique : « Lally, l’argent est votre Dieu, implorez-le bien, nous verrons s’il vous sauvera. Pour le nôtre, il est au ciel, et nous espérons de sa miséricorde que, malgré votre malice, il nous sauvera si telle est sa sainte volonté. »

La presse ne suffisait pas à l’activité de leur haine. Ils avaient recours à la parole pour exploiter à leur profit le désespoir des actionnaires entièrement ruinés. Dans des réunions au siège de la compagnie, ils prononçaient, sous prétexte d’exposer les faits, des discours violens qui étaient à la fois l’apologie de leurs actes et le réquisitoire le plus venimeux contre l’Irlandais. Ces appels à la vengeance, véritable marseillaise des écus, soulevaient l’auditoire, qui sortait enfiévré pour colporter dans Paris sa rage et ses revendications.

Lally, qui n’avait pu obtenir de l’Angleterre sa mise en liberté et était prisonnier sur parole depuis le 23 septembre 1761, arrive au moment où l’ardeur des passions atteignait an paroxysme. Il dédaigne de répondre aux pamphlets et aux déclamations de ses ennemis. S’il doit justifier sa conduite, c’est devant le roi, non devant Paris. De vive voix et par écrit, il expose donc au ministre ses opérations et, au courant du récit, il renouvelle avec amertume ses plaintes contre les fonctionnaires de la compagnie. Il dénonce leurs vols, il les accuse de l’avoir acculé à la capitulation par la perfidie de leurs manœuvres. Il n’épargne personne. Il s’écrie qu’il a été le représentant du roi, le commissaire de la couronne, et que c’est au nom de ce personnage sacré qu’il demande le châtiment des coupables... Il conclut en réclamant lui-même l’examen le plus rigoureux de ses actes, en défiant qui que ce soit d’y trouver un autre mobile que l’amour du bien public...

Le ministre voulait étouffer l’affaire; il promettait justice au général, lui recommandait le silence. Lally, en soldat discipliné, s’inclina et se tut.

Les conseillers, forts du mutisme de leur adversaire, de l’appui