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pape contre les cardinaux qui n’ont pas voté pour lui. » A quoi il ajoute : « On n’atteint pas le but. Le pape élu sait presque toujours les noms de ceux qui lui furent contraires. » Il en est des élections pontificales comme des élections académiques; il est interdit de rien savoir, de pénétrer dans le secret des consciences; tout se sait, et quand on a un mauvais caractère, on se souvient.

Pour mener rapidement un conclave à bonne fin, il est de toute nécessité qu’il y ait des cardinaux papables, mais il importe également qu’il n’y en ait pas trop, sinon les voix s’éparpillent, et ce n’est pas seulement à la guerre que les petits paquets font perdre les batailles. Il ne suffit pas, pour être un cardinal papable, d’avoir la barrette et le chapeau rouge et de bien porter la pourpre; il faut posséder une certaine situation, certaines qualités d’âge et de caractère, réunir les conditions requises, qui varient selon les temps et les circonstances. Il est des cas où telle vertu peut nuire, où tel défaut est un titre. Il y a du mystère dans tout cela; au moment décisif, les électeurs obéissent à de soudaines impulsions, aux avertissemens secrets de leurs nerfs, à des sympathies ou à des aversions instinctives; il se forme des courans d’opinion qui les entraînent. Aussi es surprises sont-elles fréquentes. Telle candidature, dont le succès semblait assuré, échoue misérablement; de là le proverbe qui dit que celui qui entre pape au conclave en sort souvent cardinal. Toutefois, s’il en faut croire un autre proverbe romain, trois rues mènent droit au Vatican, celle des Coronari ou fabricans de rosaires, celle des Argentini ou orfèvres, celle de Longara ou la longue rue, ce qui signifie qu’une grande apparence de dévotion, une grande dépense ou la patiente pratique des petits devoirs et des petites routines sont les trois méthodes les plus sûres pour parvenir au trône pontifical.

Règle générale, les vertus négatives sont les plus utiles, mais elles sont aussi, comme l’a dit un sage, les plus difficiles à pratiquer, car elles sont sans ostentation. Il est bon d’avoir toujours été circonspect, d’avoir su envelopper sa vie et cacher ses pensées, de n’avoir trop marqué dans aucun sens ; on donne des espérances à tout le monde, on n’inspire de craintes à personne. Issu d’une famille de propriétaires ruraux de la Toscane, qui étaient venus s’établir dans la province de Rome, Joachim Pecci, d’abord légat à Bénévent, puis nonce à Bruxelles, avait été, durant de longues années, évêque de Pérouse; tout entier à ses devoirs, il s’était contenté d’être un excellent, un admirable évêque. Son caractère était jugé diversement. Les uns, se souvenant de son amitié pour Gioberti, de ses bons sentimens pour Rosmini, des rapports cordiaux qu’il avait entretenus avec les autorités italiennes de Pérouse et avec le marquis Gualterio, préfet de l’Ombrie, le considéraient comme un prélat d’esprit modéré, qui se résignait sans peine aux faits accomplis. D’autres rappelaient, au contraire, les lettres qu’il