Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la mode. Et, de là, cette conséquence que, si la base du Dictionnaire historique de l’Académie française est manifestement trop étroite, il n’appartient pas à l’Académie de prétendre l’élargir, — puisqu’elle ne le pourrait qu’en manquant à son institution, qui n’est pas de faire l’histoire de la langue, mais de suivre l’usage, de l’épurer tout en le suivant, et de le légitimer enfin, en l’adoptant.

Parlerai-je maintenant du choix des exemples? des conditions qu’ils doivent réunir pour faire autorité ? de la difficulté qu’il y a de les déterminer et de les contrôler? des mille précautions qu’il faudrait prendre, et que l’on ne prend point, pour être assuré qu’en citant Pascal, ce n’est point Arnauld, ou Nicole, ou l’abbé Bossuet que l’on invoque, et que l’on nous impose. Le Dictionnaire historique invoque quelque part l’autorité de Rabelais, en son Pantagruel, livre V, chapitre XII. Or, d’abord, il n’y a pas de cinquième livre de Pantagruel, mais un quatrième seulement, et, ce quatrième-livre, c’est une question fort débattue que de savoir s’il est de Rabelais. Le Dictionnaire invoque ailleurs l’autorité de Calvin, dans son Institution chrétienne, et il se réfère, comme d’ordinaire, en l’invoquant, à l’édition de 1561. Mais, dans cette édition, les infidélités abondent, qui altèrent jusqu’à la doctrine, et à ce point que l’on s’est demandé si le texte en avait seulement passé sous les yeux de Calvin. Le Dictionnaire cite Molière. Où est le texte de Molière? Dans l’édition de 1734, ou dans celle de 1682, ou dans celle de 1673? Le fait est qu’on ne saurait le dire ; et, quant aux éditions originales, il n’y a rien de plus constamment ni de plus diversement incorrect. Le Dictionnaire cite les Sermons de Bossuet. D’après quelle édition? celle de dom Déforis, ou celle de Versailles, ou celle de M. Lachat? Car encore diffèrent-elles étrangement entre elles, et les manuscrits de Bossuet, que nous avons, surchargés de variantes, et de ratures, et d’additions, bien loin d’éclaircir la lecture, l’embrouilleraient plutôt. Et Massillon? dont les Œuvres n’ont paru qu’après sa mort dans une édition si manifestement incorrecte? et Rousseau, qui corrigeait si diligemment ses épreuves, mais que ses éditeurs n’ont pas moins cru devoir corriger à leur tour? Or, notez qu’il s’agit, dans les exemples d’un Dictionnaire, non-seulement d’un mot, mais d’une lettre de plus ou de moins. Est-ce Massillon qui recommandait de « rapprocher les exemples à la règle ? » Rousseau écrivait-il : « Vous accueillirez » ou « vous accueillerez ? » Mais qui ne sait à combien de lectures, de recherches, de voyages même au besoin, de pareilles vérifications nous engagent? Et tout intéressantes ou même importantes qu’elles soient, qui ne conviendra que, sans être au-dessous de personne, cependant elles ne sont point de la compétence naturelle d’un écrivain dramatique ou d’un historien même? il peut y avoir des bibliographes à l’Académie française