lorsque la courtisane hors d’elle-même poursuit Sabatino de ses propositions éhontées, le musicien a tort de faire revenir le motif qui jadis accompagna certaine scène scabreuse de Proserpine et de Squarocca. Proserpine s’offre à l’un, dira-t-on, comme elle s’offrait à l’autre ; oui, mais d’un tout autre cœur. On répondra encore que ses invites à Squarocca n’étaient que le caprice dépravé, et dépité, de cet amour qui la pousse maintenant aux bras de Sabatino, qu’au fond le sentiment est le même et veut la même traduction musicale ; alors nous tombons dans le logogriphe et dans le byzantinisme. On aura beau chercher, on ne trouvera pas en musique de formules assez brèves pour se placer partout, assez intéressantes pour plaire toujours, assez vastes pour enfermer en quelques notes les nuances infinies d’un caractère moral. C’est là ce qui condamne l’abus du leitmotiv.
La musique de ce duo n’en sauve donc pas la situation dramatique. Celle-ci est peu agréable. Il est singulier de voir faire par une femme des avances aussi prononcées et aussi prolongées. Et puis, Proserpine est si belle, avec ses bras blancs sortant de son corsage rouge, que, ma foi, si la voiture nuptiale tardait un peu, le bon Sabatino serait excusable d’accorder une légère aumône à cette quémandeuse d’amour… Fi, voilà de mauvaises pensées, et l’on en rougit quand paraît la petite Angiola. Cette enfant porte partout la grâce ; son entrée est charmante, égayée par un délicieux dessin d’orchestre. Le trio final qui commence ainsi à merveille s’achève moins bien. Non que l’idée fondamentale en soit à dédaigner, il s’en faut. Elle évite au contraire, à certain tournant périlleux, une formule banale qui s’offrait d’elle-même. Mais l’opposition n’est pas assez vigoureuse entre le chant des fiancés et celui de Proserpine cachée et furieuse ; si l’on ne voyait briller le poignard, on ne sentirait pas la mort planer sur cet amour.
Toute femme, disait Mérimée avec un poète grec, a deux bonnes heures :
Ce n’est pas à l’heure de la mort que Proserpine nous a plu davantage, mais au premier acte, sur son lit de repos. En somme, l’œuvre de M. Saint-Saëns répond mal au titre qu’elle porte. Son intérêt, sa valeur, ne se trouvent ni dans la figure principale, ni dans l’action, mais dans les accessoires, qui l’emportent sur le fond, et le sauvent.
On a très bien dit de Mme Salla que c’était une belle courtisane, au repos. Dans l’action, son jeu et son chant gardent toujours quelque chose de trop serré, de trop nerveux. M. Taskin, au contraire, est trop expansif, selon sa coutume. M. Lubert a bien chanté la déclaration du