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Cette anarchie dans l’état, c’est notre point noir, c’est notre mal, et, en vérité, si elle n’était pas un danger perpétuel, inquiétant pour le pays, elle offrirait parfois d’assez plaisans spectacles. La France a, pour le moment, des pouvoirs publics qui lui font une vie bien singulière, qui administrent sa fortune, tous ses intérêts d’une étrange façon, et un des plus curieux spécimens des confusions de la politique du jour, c’est bien certainement la dernière aventure de M. le ministre des finances, ou plutôt du cabinet tout entier. Ce que sera le prochain budget, ce que deviendront les propositions décousues de M. le ministre des finances, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La chambre, en bâclant le dernier budget, a voulu, on le sait, s’illustrer par des économies, et, sans vouloir rien écouter, elle a supprimé, dans les dépenses de l’administration centrale des finances, une somme de près de sept cent mille francs affectée au traitement d’un certain nombre d’employés. Notez que ces employés, attachés à la caisse centrale du trésor, au grand-livre de la dette, sont absolument nécessaires, que sans eux les services les plus essentiels peuvent être suspendus, que « la gestion des deniers publics et même le crédit de l’état seront compromis. » C’est l’aveu qu’on fait aujourd’hui. Évidemment, le premier devoir de M. le ministre des finances et de M. le président du conseil lui-même était de ne se laisser imposer à aucun prix une suppression de crédit qui, selon leur propre témoignage, met en péril le service et le crédit de l’état. Ils n’en ont rien fait, ils ont laissé tout passer, ils ont même supplié le sénat de ne pas rétablir les sommes supprimées, en se réservant de suppléer à ce qu’on leur refusait par des crédits supplémentaires. Ils ont gagné ainsi quelques jours ou quelques semaines. Pendant ce temps, M. le ministre a gardé ses employés irrégulièrement payés, et, comme il l’avait dit, il a bientôt demandé au parlement des crédits supplémentaires. C’est ici justement que commence la plus bizarre, la plus fantasque des comédies entre l’ancienne commission du budget, à laquelle la proposition a été soumise, et M. le ministre des finances. On en est venu bientôt à ne plus se reconnaître, à ne plus s’entendre, à mettre les finances de la France en vaudeville. Les malheureux crédits ont été tour à tour rejetés, acceptés, modifiés. Les rapporteurs se sont succédé pour soutenir l’un après l’autre des conclusions différentes. On s’est réuni, on s’est séparé, on s’est rencontré de nouveau pour se disputer. M. le ministre des finances, pour tout concilier par un expédient de transaction, avait imaginé de prendre une partie des crédits qui lui sont nécessaires sur d’autres chapitres de son budget, sur des crédits qui pourraient être annulés au courant de l’exercice; mais il s’est bientôt ravisé. Il s’est aperçu qu’il n’avait pas le droit de toucher à des crédits qui ont reçu une affectation précise, de disposer d’avance des annulations éventuelles de crédits. Il a