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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

il est des enfans, de cervelle défectueuse, que le vice saisit dès leurs premières années ; ni l’exemple de la probité, ni les reproches, ni les encouragemens à bien faire, ni les punitions ne peuvent rien sur ces êtres de moralité inférieure ; ils sont nés coudés, rien ne les redressera ; ils ont dans l’organisme je ne sais quoi qui les conduit naturellement au crime, et en fait, pour ainsi dire, l’élément même de leur existence. J’en ai rencontré dans les prisons, j’ai causé avec eux, la notion du bien et du mal leur échappe ; la religion, la morale, la philosophie, la justice, tout ce qui, en un mot, constitue la civilisation, a glissé sur eux sans les pénétrer ; ils sont restés l’homme primitif, l’homme de l’âge de pierre, qui vole, tue, s’enivre parce qu’il n’est encore qu’un animal. Ils ne respectent rien, ne redoutent que la force qu’ils ont en horreur, parce que souvent elle les domine et protège les autres contre eux. Le fond même de ces bêtes humaines, c’est la paresse et l’alcoolisme ; l’idéal de l’existence leur apparaît comme une orgie permanente : être couché et boire toujours, quel rêve ! Parfois je me suis demandé si ces êtres incomplets n’étaient point des malades, et si leur place ne serait pas plutôt à Bicêtre qu’à la Grande-Roquette. Grave question, qu’il ne faut point trop agiter, car la réponse pourrait désarmer la loi et compromettre le salut social.

Avant, pendant, après l’emprisonnement, nulle influence ne parvient à pénétrer ces criminels qui semblent nés pour le crime ; libres, ils cherchent un bon coup à faire ; détenus, ils aspirent à se venger de ceux qui les ont punis ; libérés, ils retournent au méfait, comme le chacal retourne à son vomissement. Avec eux, rien à faire, et M. de Lamarque a dû être certain d’avance que son action ne les atteindrait pas. Il n’en est pas de même des hommes qui sont devenus voleurs par habitude et, ceci est cruel à dire, par nécessité. C’est parmi eux que se recrute, en majeure partie, la classe des récidivistes ; petits délits en général et, par conséquent, peine minime. Quelques-uns sont très ferrés sur le code pénal et savent ne jamais s’exposer qu’à un emprisonnement variant de trois mois à une année, ce qui leur permet de faire leur temps dans les prisons de Paris, où, malgré la surveillance, les relations avec les complices ne sont point impossibles. Un homme a commis un vol ou une escroquerie, il est condamné. Lorsqu’il a purgé sa peine et qu’il est libre, il a en poche une somme dérisoire qui ne lui donne ni le pain quotidien, ni le loisir de faire des démarches pour trouver une place ; sa situation de libéré lui ferme les portes ; où aller ? on n’a pas de domicile ; que devenir ? on n’a plus d’argent : « Item faut vivre, » disait un condamné après avoir écouté les considérans de son jugement. La faim est pressante ; on vole de nouveau, et la prison ressaisit celui qu’elle vient de lâcher. L’aurait-elle repris si, au jour de sa libération, le malheureux avait