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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

clés, les vêtemens et le linge ; en toute chose ils sont ahuris. Il en résulte des irrégularités qui ressemblent à des indélicatesses et les conduisent devant les tribunaux ; ils s’embrouillent dans leurs explications, ils s’embrouillent dans leur défense ; ils impatientent les juges, les témoins, leur avocat : la cause est entendue ! on les envoie en prison, et ils ne comprennent rien à ce qui leur est arrivé. Ils accusent la destinée, ils accusent leurs patrons, ils accusent la magistrature, ils accusent tout le monde, excepté eux, qui doivent leurs désastres à leur incapacité mentale et à un amour-propre exagéré. En réalité, ils ne sont point coupables, aussi ne peuvent-ils se repentir, mais ils sont désespérés. Sur ceux-là on peut agir, rien n’est plus facile, car ils se donnent avec confiance et, en quelque sorte, avec naïveté ; on s’empresse à les sauver, et on les sauve, à condition de les pourvoir d’un emploi qui ne dépasse point leur intelligence.

La catégorie de délinquans sur laquelle on peut exercer une action bienfaisante est celle des hommes qui n’ont point reculé devant un compromis de conscience et qui ont commis une faute que l’on a découverte avant qu’ils aient eu le temps de la réparer. Catégorie nombreuse, digne d’intérêt et qu’il est aisé de rendre au bien, si la démoralisation pénitentiaire ne les a point pervertis. La quantité d’individus que les circonstances ont sollicités, qui n’ont pas su résister à une pensée mauvaise, qui sont coupables d’un larcin, d’une filouterie, d’une escroquerie, d’un vol même dont la justice n’a pas eu à s’occuper, est très considérable. Nous les côtoyons partout, dans les rues et ailleurs. Leur « patron, » par bonté, par insouciance ou par pitié, n’a point voulu faire d’esclandre ; la perte est minime, il la supporte en maugréant, mais il ne dépose pas de plainte ; il congédie le malheureux : « Va te faire pendre ailleurs ! » et tout est dit. Mais si le patron est d’esprit acerbe, si déjà il a été trompé, il cède à un mouvement d’irritation que, peut-être, il regrettera trop tard : dès lors arrestation, prévention, jugement, condamnation ; toute une existence est compromise, si la Société de patronage n’intervient pas. C’est là, dans ce monde qui n’est que faible, auquel il faut savoir épargner les tentations de la récidive, qu’elle fait son meilleur sauvetage. Souvent, très souvent, elle a remis dans la bonne route des hommes d’instinct honnête, qui s’en étaient écartés momentanément. À ces pauvres gens, qui ont payé cher l’oubli de soi-même, la leçon a profité : en eux persiste un sentiment d’humiliation sur lequel ils s’appuient énergiquement pour revenir à la probité et reconquérir une considération dont ils sont avides. Il est facile de les aider, car ils s’aident eux-mêmes ; pour les sauver, il suffit parfois de leur tendre la main, comme à un homme tombé à l’eau, mais qui sait nager. Le comptable