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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

avec quelque beau parleur qui emmanche son éloquence dans le couteau de l’assassinat, parviendront-ils à se persuader et à vouloir persuader aux autres qu’ils font acte de revendication sociale et sont en lutte légitime contre une civilisation qu’ils trouvent mal faite, parce qu’ils n’ont jamais eu le courage de s’y faire la place qu’elle réserve au travail, à l’intelligence et à la probité.

Il est cependant un fait dont il convient de tenir compte : les départs spontanés de l’asile sont plus fréquens en été qu’en hiver. Les nuits de décembre et de janvier ne sont point propices au sommeil en plein air et la bise est dure sous les arches de pont ; on reste au logis, car on y a bon gîte et bon feu. Quand vient le printemps, la sève monte aussi dans ces cervelles sans pondération ; on connaît de si bons abris dans le bois de Clamart et de Chaville ; il est si doux de dormir sur l’herbe haute. On s’en va, on ne revient pas, ou, si l’on revient, c’est avec les poucettes et sous la conduite d’un gendarme qui n’ignore pas que son devoir est d’arrêter les vagabonds. Parmi ceux qui désertent l’asile, les vieillards sont à faire connaître. Ils sont finis, c’est leur mot ; incapables de travail, incapables d’une action mauvaise, parce que toute énergie physique leur manque ; parfois impotens, souvent infirmes, ils aperçoivent l’hospice comme un port de salut. On leur propose de les faire entrer à Villers-Cotterets. Ils refusent ; fi donc ! le dépôt de mendicité ! Ils réclament leur admission à Ivry, la maison des Incurables, pour laquelle on dépense un million par an. Ce n’est point chose facile de forcer de telles portes, l’Assistance publique ne se soucie guère de les ouvrir devant de vieux filous qui ont passé leur vie en prison ; elle n’est point aveugle dans ses choix, et l’on ne peut l’en blâmer. On insiste pour qu’ils acceptent Villers-Cotterets, dont l’accès est plus facile, parce que la préfecture de police en tient les clés. Ils refusent de nouveau, se plaignent, estiment que l’on est injuste à leur égard, reprennent leur béquille et s’en vont. Ils n’iront pas bien loin ; vagabondage invétéré ; ils n’ont point voulu du dépôt de Villers-Cotterets : un jugement les enverra à la maison de répression de Saint-Denis et ils perdront au change.

Les pensionnaires de l’asile appartiennent en général aux couches infimes de la population de Paris ; ils ont fait leur temps dans les prisons de la Seine. Quelques-uns cependant, avisés et désireux de bien faire, viennent des maisons centrales de Gaillon, de Poissy, de Melun ; ils sont sortis du même milieu, ils v rentreront et continueront à vivre dans le groupe social pour lequel une condamnation de plus ou de moins ne tire pas à conséquence. Il n’est pas de règle sans exceptions, et là même, en feuilletant certain registre, on en découvre dont on reste surpris. Nulle classe de la société n’échappe à la