gens. « Son petit commerce, disait-il, n’allait pas trop mal. » Il était marchand d’esclaves, ce qui n’a rien de déshonorant dans ces pays-là. Sur le Nil, au-delà des cataractes, je reçus la visite d’un ancien comédien qu’un accès de galanterie exagéré avait failli envoyer aux galères ; il avait été plus leste que la justice et lui avait échappé. Il avait essayé de s’établir au Caire, avait mal réussi dans son entreprise, et un beau jour était parti pour Khartoum en compagnie d’un Bim-Bachi qui allait prendre le commandement d’un bataillon de Nubiens. Il se fit chasseur d’éléphans, vendait l’ivoire et prospérait. Je lui offris quelques livres de poudre anglaise que j’avais achetée à Malte ; en échange, il me donna la corne d’un rhinocéros qu’il avait tué et que je conserve précieusement en mémoire de ce pauvre garçon, qui bientôt après notre rencontre fut tué au champ d’honneur, écrasé, aplati sous le pied d’un éléphant blessé.
Ces hommes que les hasards de ma vie m’ont fait côtoyer étaient heureux ; mal à l’aise dans notre civilisation, que leurs passions rendaient trop étroite, ils ont trouvé dans la libre vie du voyageur à déployer sans contrainte l’ardeur qui les dévorait ; leurs défauts, incompatibles avec les devoirs et les droits du monde social, sont devenus des qualités dans leur existence sauvage ; mais on peut croire qu’ils n’ont pas failli, parce qu’ils n’ont plus eu l’occasion de faillir. Il me semble que dans nos colonies africaines des bords de l’Océan-Atlantique, vers ces fleuves que la curiosité aryenne commence à explorer, il y a place et possibilité de vivre pour bien des hommes que la récidive entraînera, s’ils restent dans nos pays. Je sais, sans que j’aie à m’expliquer davantage, qu’un petit nombre de libérés ont, sur leur demande, été expédiés dans une de ces régions où flotte le drapeau français ; ils pourront y contribuer à la civilisation, car on va construire des voies ferrées, établir des fortins et ouvrir des routes ; ce sera bien, s’ils s’y emploient ; payés comme ouvriers, recevant en outre la ration du soldat, il leur sera facile de rentrer dans la vie régulière et d’élever honnêtement les petits mulâtres qui naîtront d’eux. Mais au-delà de nos possessions, à nos frontières mêmes, se dressent les bois de gommiers et s’étendent les immenses terrains de chasse ; resteront-ils attachés à la glèbe, retourneront-ils à la vie des ancêtres primitifs ? Qu’importe ? Ils obéiront à leur instinct et nul n’aura rien à leur reprocher. Si la Société de patronage développe le goût de l’émigration volontaire chez les libérés qu’elle prend en tutelle, elle aura atteint son but, qui est de relever le coupable et de débarrasser le pays d’un danger permanent.
MAXIME DU CAMP.