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est en l’été sur la rive algérienne pour recevoir la caravane officielle qui passe. C’est assez inoffensif, quoique un peu banal et un peu bruyant. Le pays du moins n’en souffre pas. Le pays, qui n’aime pas les crises, se dit pour sa part qu’il peut être tranquille tant que ses ministres et ses députés sont à Alger ou dans leurs provinces, tant qu’ils ne sont pas réunis au Palais-Bourbon pour se quereller à ses dépens ; il se dit aussi un peu sans doute que, si ses représentans ont cru pouvoir prendre leurs vacances et se disperser pour leur plaisir ou pour leur repos, c’est que le danger des grands conflits était passé, c’est qu’il n’y avait plus pour ie moment rien à craindre de ces nuages menaçans qui ont pesé sur la France et sur l’Europe pendant l’hiver. Voilà qui est au mieux ! C’est un mois de tranquillité laissé au pays harassé d’agitations vaines et de politique irritante ou stérile : on ne peut pas s’en plaindre. Ce n’est pourtant qu’une trêve, une courte trêve, c’est trop visible, c’est ce qui gâte tout, et le jour où nos politiques reviendront au Palais-Bourbon, après un mois passé en voyages ou dans les conseils-généraux, ils retrouveront la situation qu’ils ont faite, les difficultés qu’ils n’ont cessé d’accumuler par leurs imprévoyances et par leurs passions. Ils retrouveront un gouvernement sans fixité et sans direction qui est leur ouvrage, les finances qu’ils ont compromises et qu’ils ne savent plus comment relever, les traditions administratives qu’ils ont faussées, des divisions intestines créées, envenimées par l’esprit de parti ou de secte.

Ce qu’il y a de particulièrement étrange, c’est que, dans le camp même des républicains qui ont quelque prétention à l’esprit politique, on le sait, on le sent, et on n’en fait ni plus ni moins. On subit une espèce de fatalité vulgaire d’aveuglement et d’impuissance. S’il y u une chose évidente, avérée, avouée, en effet, c’est que la politique qu’on a suivie depuis longtemps, depuis trop longtemps, n’a point réussi ; elle n’a eu d’autre résultat que de diviser, d’épuiser, de déconcerter le pays, qui ne sait plus quelquefois ce qu’on lui demande, qui se sent seulement atteint de profonds malaises ; elle a créé, en un mot, une situation visiblement poussée à bout qui ne peut faire illusion qu’à l’optimisme éternel et béat des satisfaits, comme il s’en trouve sous tous les régimes. S’il y a une chose tout aussi évidente, c’est qu’on n’en est arrivé là que par un système perpétuel de concessions à tous les intérêts de parti, à toutes les fantaisies de secte, à toutes les passions radicales ou révolutionnaires, et qu’on ne peut sortir de ce dangereux état que par un retour résolu aux idées, aux procédés d’un gouvernement de raison, d’équité et de prévoyance. Le mal est connu, avoué, le remède est indiqué par la nature des choses, par la logique des situations. Qu’arrive-t-il, cependant ? L’autre jour, à la veille même des vacances, dans cette discussion des crédits où le ministère a failli disparaître, M. le président du conseil a cru habile