Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la mitraille fit peu d’effet. Témoins éloignés de la lutte dont ils n’entendaient que le grondement, les six bataillons d’avant-garde frémissaient d’impatience. Enfin, sur la demande réitérée du duc d’Orléans, le maréchal consentit à lâcher la bride au 2e bataillon de zouaves. Ils s’élancèrent, le colonel de La Moricière et le commandant Renault en avant, chargeant de front avec les compagnies décimées du 17e, que le colonel Bedeau, couvert de sang, entraînait l’épée à la main, ne voulant pas se laisser dépasser par ses généreux camarades. Abd-el-Kader recula, mais menaçant encore; si la nuit ne fût intervenue, le combat eût recommencé sans doute.

Pour lui, c’était presque un succès; quoiqu’il eût perdu beaucoup plus de monde qu’au col de Mouzaïa, il en avait aussi tait perdre davantage à son adversaire ; il lui avait tué plus de cinquante hommes et blessé plus de trois cents ; un trop grand nombre étaient atteints de blessures mortelles et quelques-uns n’avaient pas pu être sauvés de l’ennemi. Enfin, remarque pénible à faire : la journée du 20 mai, revanche en quelque sorte de la journée du 12, rehaussait autant, parmi les soldats de l’émir, l’éclat de son prestige qu’elle achevait d’abaisser, parmi les Français, l’autorité morale du maréchal Valée. Le 21, le corps d’armée, suivi des deux bataillons qu’il avait laissés au col, descendit à la redoute de Haouch-Mouzaïa, et le lendemain, les troupes qui le composaient rentrèrent dans leurs cantonnemens, tandis qu’une longue colonne de voitures d’ambulance et de cacolets amenait aux hôpitaux d’Alger le douloureux contingent des blessés et des malades. Quelques jours après, les princes firent leurs adieux à leurs compagnons d’armes et s’embarquèrent pour France.


VI.

Pendant l’absence du maréchal, Alger avait mené une vie inquiète; le général de Rostolan n’avait pas dormi tranquille. Les Hadjoutes d’un côté, Ben-Salem de l’autre, infestaient la Métidja; le Sahel même n’était pas à l’abri de leurs coups de main. A Birkhadem, le 27 avril, on avait signalé leurs coureurs ; deux maisons de campagne étaient brûlées, trois personnes enlevées près de la Ferme modèle; le lendemain, c’était Hussein-Dey qui recevait leur visite. Le général multipliait les postes, les rondes, les patrouilles ; il faisait marcher la milice; il armait les condamnés militaires. Pendant quelques jours, l’ennemi se tint à distance; mais tout à coup, le 15 mai, on le vit de plus près qu’on ne l’avait jamais vu depuis 1830, dans le Hamma, au café des Platanes. Il y eut ce jour-là un épisode émouvant, renouvelé d’Hercule, de Nessus et de Déjanire.