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mulets du convoi portaient cent cinquante mille rations, farine, riz, sel, sucre, café. La colonne traversa la plaine hadjoute et pénétra, le 2, dans les montagnes des Beni-Menad. Il y eut des engagemens assez vifs au passage de l’Oued-Bou-Rkika, à Karoubet-el-Ouzri, au défilé de Chaba-el-Keta, et, le lendemain, au col du Gontas. Le 4, la cavalerie arabe parut vouloir défendre le seuil du vallon de l’Oued-Boutane, qui fut aisément forcé. Pendant que les zouaves, l’artillerie, le génie, s’établissaient à l’entrée de la gorge, et les autres bataillons sur les hauteurs de droite et de gauche, le convoi, précédé d’une petite avant-garde, montait vers la ville. Quand le général y entra, ce qu’il vit tout d’abord dépassa sa plus douloureuse attente. L’état des troupes était navrant. Il y avait encore une certaine quantité de vivres dans les magasins, mais ces livres étaient avariés, et si le nombre des rationnaires n’avait pas été depuis longtemps réduit par la mort, la faim aurait assurément fait des survivans ses victimes. La nostalgie, l’ennui, la dysenterie, la fièvre, la maladie morale et les maladies physiques, tout concourait à les abattre. « La moitié de la garnison, a dit le général Changarnier, était dans le cimetière, un quart dans les hôpitaux; le reste se traînait sans force et sans courage, incapable de défendre les remparts que l’ennemi, mal informé, n’avait heureusement pas attaqués. » Cette malheureuse garnison fut relevée tout entière, à l’exception d’un seul homme, le capitaine du génie Tripier, qui demanda comme une faveur de rester dans ce poste abhorré. Le commandant Brunet, du 48e remplaça le lieutenant-colonel d’Illens; le général Changarnier lui composa un effectif de douze cents hommes. Réduite d’autant, car les survivans de Miliana ne pouvaient pas compter, la colonne dut être conduite, pendant la retraite, avec une sûreté de coup d’œil, une habileté tactique et une décision qui firent à son chef, au jugement des hommes du métier, plus d’honneur que le succès d’une offensive heureuse. Observée, suivie, côtoyée par la cavalerie arabe, attendue par les montagnards aux passages difficiles, sans se laisser entamer ni retarder même, elle rentra, le 7 octobre, à Blida, avec une perte de quarante-deux tués et de deux cent soixante blessés. Le capitaine de Mac-Mahon, aide-de-camp de Changarnier, fut cité particulièrement pour sa bravoure et son intelligence de la guerre.

Victimes d’une fatalité impitoyable, les tristes débris qu’on croyait avoir sauvés des horreurs de Miliana avaient été suivis par la mort ; ils lui appartenaient: elle les reprit presque jusqu’au dernier tour à tour. Des douze cent trente-six hommes laissés au mois de juin dans la ville maudite, soixante-dix survivaient seuls au 31 décembre. Étonnée de ce grand désastre, émue par la poésie frémissante de Joseph Autran, l’opinion publique fut sévère pour