Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aimer leur joug. « l’exemple de l’Irlande, dit M. Whitman, est toujours devant nous pour nous rappeler combien nous sommes impuissans à nous concilier l’affection. C’est une vieille histoire : il nous est difficile de plaire à nos amis, il nous est plus difficile encore de gagner le cœur de nos ennemis. Nous nous y prenons gauchement, nous faisons de grimaçans efforts pour mettre un sourire sur nos lèvres… Quand les principaux représentans de nos colonies viennent parmi nous, nous les blessons souvent par notre manque de tact. Nous conférons des distinctions de rebut à des hommes qui occupent chez eux une situation analogue à celle de nos ministres. Nous leur offrons des colifichets que nos hommes de science dédaignent et refusent, et qui ne sont acceptés avec plaisir que par nos illustrations municipales… Tandis que la France honorait Abd-el-Kader et que la Russie a su fêter Schamyl, nous traitons le premier ministre d’un puissant continent, l’Australie occidentale, sur le même pied qu’un alderman de province qui a mérité quelque récompense. »

Le philistin anglais a l’humeur voyageuse. Comme le rat de la fable, il est facilement « saoûl des lares paternels. « Il aime à promener son spleen à travers le continent, à secouer son ennui, à lui faire voir du pays. Il revient de ses voyages le teint frais, l’esprit serein, et confirmé dans sa conviction que les peuple étrangers sont des peuples inférieurs qui n’ont rien à lui donner, rien à lui apprendre, que non-seulement la nation britannique est la première nation du monde, mais que l’individu anglais est supérieur à tout autre, qu’il faut être né au nord de la Manche pour aspirer à l’honneur d’être un vrai gentleman. Appartenir à un pays dont la constitution n’a jamais changé, qui possède l’empire des mers et qui a inventé le gentleman, que d’avantages aussi précieux que divers !

Tous les pays, dans tous les temps, ont eu leur code de la bonne compagnie, dont il fallait observer religieusement tous les articles pour se distinguer de la commune humanité et même du vulgaire des classes aisées. L’Arabe, chef de tribu, n’est pas seulement tenu d’être un incomparable cavalier, de posséder plus d’un faucon et plus d’un sloughi ; à l’art de s’envelopper avec grâce dans son burnous, il doit joindre quelque chose d’exquis dans la politesse, des raffinemens de manières, un mélange tout particulier de dignité et d’abandon qui le fait reconnaître sur-le-champ pour un homme de race. Au XVe siècle, l’auteur du Jouvencel traçait un savant portrait du vrai noble, du vrai chevalier, qui passe sa vie à défendre son droit et le droit d’autrui, qui agit en toute rencontre avec hardiesse et loyauté, qui se distingue à la fois par son haut vouloir et son grand courage, par son amour pour la louange du monde et par le plaisir qu’il éprouve « à voir et apprendre de jour en jour choses nouvelles. » À quelque temps de là, Balthasar Castiglione écrivait son Cortegiano et enseignait à l’Italie que l’homme de