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cour doit exceller également dans tous les exercices du corps et dans la pratique de tous les arts. Au XVIIe siècle, le chevalier de Méré rédigea le code de l’honnête homme, dont le propre est de n’avoir point de métier ni de profession, d’être doux, civil et fier, hardi et modeste, de porter légèrement le poids de la vie et des affaires, de se rendre agréable aux autres sans se déplaire jamais à lui-même, d’unir le bon air à l’agrément. Le parfait gentleman a pour trait distinctif d’être propre à tout, en demeurant supérieur à toutes les petites vanités comme aux intérêts grossiers. On le reconnaît surtout à ce qu’il est exempt de toute affectation ; il joint la distinction de l’âme, des sentimens et des manières au parfait naturel, et il faut avouer que le parfait gentleman est un des représentans les plus nobles et les plus agréables de l’espèce humaine, qu’on serait heureux de pouvoir juger de la pièce par l’échantillon.

M. Whitman se plaint qu’en Angleterre les classes moyennes ont toujours eu un fâcheux penchant à imiter, à singer l’aristocratie, ses mœurs, ses habitudes, son étiquette, ses plaisirs, jusqu’à ses airs de tête. Rien n’est plus admirable qu’un vrai gentleman; le faux gentleman est une sotte et ennuyeuse engeance.


Voulant se redresser, soi-même on s’estropie,
Et d’un original on fait une copie.


Dans le temps où l’aristocratie aimait à se griser, les classes moyennes buvaient comme elle avec excès ; quand elle adopta des mœurs plus décentes, on se réforma à son exemple et on cacha ses plaisirs; quand elle recommença à se permettre beaucoup de choses, on se les permit aussi. Mais, quoi qu’elle fît, elle semblait s’abandonner à ses inclinations naturelles, et c’était le naturel qui manquait aux imitateurs; ils avaient l’air emprunté, leur gaîté était factice, leur sérieux était gourmé. « Notre pierre d’achoppement, dit M. Whitman, est notre effort désespéré pour paraître naturels. Nous essayons de l’être, et cela produit des résultats, sinon alarmans, du moins ridicules... On nous répète aujourd’hui sur tous les tons que Sa Majesté la reine est fort gracieuse, et cela nous frappe, parce que nous ne sommes pas accoutumés à rencontrer la grâce dans nos supérieurs. Aussi, le plus grand éloge que nous puissions faire de quelqu’un, homme ou femme, est de dire qu’il n’a point de prétentions, point d’apprêt, et nous prouvons ainsi combien la simplicité est une qualité rare chez nous... C’est une des malédictions de notre vie sociale qu’un Anglais doive être de très haute ou de très basse condition pour oser se permettre d’être simple. »

Ce n’est pas chose aisée que de joindre la distinction des sentimens et des manières au parfait naturel. Il est plus facile de se distinguer