à la cour de France, le plus conforme aux intentions du maître, et le plus propre à en aider enfin la réalisation. Il y a, d’ailleurs, mieux encore. Et si l’on considère que le Parlement ayant fait défense à l’imprimeur « de vendre et exposer le livre, » le roi, sur la simple requête de l’auteur, leva l’interdiction, on est tenté de se demander si Rabelais n’écrivait pas « par ordre, » ou à tout le moins si son audace même n’était pas une forme de courtisanerie. On voit qu’en tout cas cette audace n’était pas de nature à lui attirer de bien sérieuses persécutions, — Et cela suffit pour le moment. A moins que l’on ne veuille que j’ajoute qu’un homme s’indigna que les théologiens de Paris n’eussent pas fait brûler Rabelais avec ses livres, et qu’il s’appelait Robert Estienne. Mais on voit aussi que, dans la mesure où cette interprétation du quatrième livre est conforme à l’exactitude historique des faits, elle ruine en même temps l’authenticité du cinquième, et réduit à leur juste valeur les. hardiesses prétendues des trois autres.
Rabelais, à vrai dire, n’a rien ou presque rien attaqué qu’il ne pût attaquer, dans le temps précis qu’il l’attaquait, sans le moindre péril de sa tête ou de sa liberté. S’il n’est guère plus ordurier, comme on l’a fait remarquer avec raison, que tel ou tel de ses contemporains, et si peut-être même il est moins obscène que Marot, il n’est pas plus hardi que la plupart d’entre eux, et il l’est nommément beaucoup moins que Bonaventure des Périers, l’auteur du Cymbalum mundi. Là même où l’on croirait volontiers, à le lire, que la fougue de son imagination entraîne, et que ses idées, roulant pêle-mêle dans un torrent de mots, se débordent et lui échappent, Rabelais, toujours parfaitement maître de son style, — Et rien n’est plus aisé que de s’en apercevoir à la nature des corrections qu’il fait, — L’est également toujours de sa pensée. Mieux équilibré, plus robuste, moins nerveux, moins irritable que Voltaire, et très différent en cela d’un homme qui lui ressemblera par tant d’autres côtés, Rabelais, ni dans l’attaque ni dans la riposte, n’a jamais perdu le sang-froid ou le calme. Il sait d’ailleurs qu’en France on peut tout dire, à la seule condition de ne pas toucher au principe du pouvoir, et à Rome, Non-seulement tout dire, mais tout faire, pourvu qu’on respecte le dogme. Aussi a-t-il toujours respecté le dogme et le pouvoir, et dans toute son œuvre, si je ne trouve pas un mot qui pût effaroucher l’ombrageuse susceptibilité du prince, je doute que l’on en trouvât un, dans le quatrième livre lui-même, que l’on pût noter d’hérésie. Non pas que l’hérésie n’y soit; mais comment les contemporains eussent-ils pu l’y saisir, dissimulée, ou plutôt disséminée qu’elle est dans l’œuvre tout entière, sans se déclarer nulle part; et puis, si cette hérésie n’est autre que l’hérésie de la renaissance elle-même? Calvin seul, parmi les lecteurs de Pantagruel et de Gargantua, l’a peut-être soupçonnée. Il nous faut la démêler maintenant, et près avoir,