cabale, en s’attaquent à Phèdre, avait découragé Racine du théâtre, et je pensais m’inquiéter pour M. Zola; je suis rassuré par son algarade : il est plus résistant que Racine.
C’est le souvenir de Corneille qu’on a évoqué à propos de Mademoiselle de Bressier : un Cid en habit de nos jours, ni plus ni moins, tel s’annoncerait le nouveau drame, tiré d’un romancero-feuilleton que les lecteurs du Figaro n’ont pas oublié[1]. Le Cid au courant, juste en même temps que Phèdre, ô l’heureuse semaine pour les classiques!.. Mais si, en effet, M. Delpit veut les continuer, c’est à sa manière : il n’a pas l’esprit fait comme M. Zola. Il ne sait pas s’attacher avec tant de patience au « document humain; » en revanche, il a ce don, il l’a même à un degré tout à fait éminent : l’imagination des situations tragiques. Aperçoit-il un Rodrigue contemporain, ne du mauvais côté de la barricade, et sa Chimène, fille et sœur de loyaux soldats? Ce serait peu, à son gré, que le souvenir d’une seule mort séparât le héros de l’héroïne. Le père de ce Rodrigue aura combattu contre le père de Chimène, tué dans la guerre civile; complice d’un guet-apens, il aura trempé dans l’assassinat de son frère ; et Chimène, à son tour, de ses propres mains, aura livré le père de Rodrigue à des vengeurs.
Est-ce bien, cependant, Chimène et Rodrigue qu’il faut nommer, à propos de Faustine de Bressier et de Jacques Rosny? Mais le fils de don Diègue et la fille du comte s’aimaient avant la querelle de leurs pères; aussitôt que cette querelle éclate, ils savent leur malheur. Jacques et Faustine, au contraire, pourraient soupirer, comme la Juliette de Shakspeare, et même avec plus de raison : « Mon unique amour émane de mon unique haine ! Je l’ai vu trop tôt sans le connaître et je l’ai connu trop tard. Il m’est né un prodigieux amour, puisque je dois aimer un ennemi détesté! » Aussi bien que Roméo, et mieux encore, Jacques pourrait s’écrier : « Oh ! je suis le bouffon de la fortune! » l’affreuse aventure qui les avait désignés pour une mutuelle exécration, et dont le spectateur fut témoin, les enfans de Pierre Rosny et du général de Bressier ne la découvrent qu’après avoir commencé de s’adorer, quand ils sont déjà l’un à l’autre, à l’heure même où leur félicité va s’établir pour jamais. Ainsi, par sa conduite, par le progrès fatal des événemens, la pièce rappelle cette tragédie antique plutôt que cette tragédie moderne, Œdipe roi plutôt que le Cid; ou peut-être elle joint l’horreur sacrée de celle-là au pathétique humain de celle-ci : elle a quelque peu, du moins, de l’une et de l’autre source d’émotions. Deux actes durant, nous sommes mis dans la confidence du destin, nous assistons à ce duel des familles dans la mêlée d’une guerre; pendant deux actes encore, nous voyons les enfans marcher,
- ↑ Un vol. in-18 ; Ollendorf, éditeur.