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Cette triste affaire de Pagny a une autre moralité : elle dévoile malheureusement une situation des plus difficiles, des plus aiguës, que des rigueurs nouvelles ne peuvent guère adoucir. M. de Bismarck, qui n’agit jamais en homme vulgaire, a écarté de sa main puissante l’incident de Pagny par un acte de déférence pour le droit international. Soit, c’est l’essentiel aujourd’hui, si c’est fini; mais dans les conditions laborieuses qu’on crée, d’autres incidens peuvent à tout instant survenir. A mesure qu’ils se succèdent, les esprits s’aigrissent, les rapports se fatiguent, la diplomatie épuise ses efforts de plus en plus pénibles à détourner des complications toujours nouvelles. Et alors que devient la paix, objet d’un vœu universel ? Sur quelle base fragile et incertaine l’appuie-t-on ? Voilà la situation cruelle et dangereuse dont devraient s’occuper avant tout ceux qui ont la responsabilité des affaires des peuples et qui ne veulent pas, nous le supposons, mettre sans cesse le repos du monde à la loterie des incidens.

Par une fortune singulière, pendant que la France en était à ces préoccupations et à ces émotions d’un incident malheureux, une partie de nos ministres, et avec les ministres, des sénateurs, des députés, continuaient leur voyage d’agrément en Afrique. Ils avaient bien choisi leur moment; ils ont du moins montré à M. de Bismarck qu’ils ne songeaient pas à la guerre, à des agressions contre l’Allemagne. Ils avaient bien autre chose à faire ! Ils étaient occupés à organiser leurs caravanes algériennes, à se promener, allant porter la bonne parole chez les Kabyles, recevant les complimens des populations émues de voir tant de grands personnages, prodiguant les discours, promettant tout ce qu’on a voulu et encore plus. Ils ont fait leur tour complet à travers les ovations et les illuminations; ils reviennent l’un après l’autre comme des écoliers qui ont assez fait l’école buissonnière. La toile est déjà tombée sur cet intermède inutile des vacances parlementaires, sur cette médiocre représentation de politiques en tournée de plaisir, qui a disparu devant les affaires sérieuses du continent.

Que fera-t-on maintenant dès que les chambres vont être de nouveau réunies, d’ici à quelques jours? Va-t-on recommencer les luttes stériles, le jeu éternel des partis, les comédies entre opportunistes et radicaux, les agitations vaines, les expériences décousues aux dépens de tous les intérêts de la France ? Les incidens qui viennent de se passer, qui succédaient eux-mêmes à d’autres incidens, seraient assurément bien faits pour ramener nos politiques du gouvernement et des chambres au sentiment de la réalité, pour leur rappeler qu’il y a des situations avec lesquelles il faut enfin cesser de jouer. Il y a surtout deux ordres de questions pressantes où il faut absolument se défendre de tout ce qui est esprit d’aventure et de parti. On a présenté une loi de réorganisation militaire qu’une commission du parlement