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jeunesse, dans sa diplomatie confidentielle, il avait renoncé à en faire usage. Aussi, en les retrouvant si singulièrement placées dans la bouche de Louis XV, il dut reconnaître l’inspiration d’un disciple de Voltaire plus naïf que son maître, et j’imagine qu’il dut en légèrement sourire, à moins pourtant qu’il n’en fût très sérieusement impatienté. Il avait, en effet, quelque lieu de l’être, car, d’une part, sa négociation clandestine avec l’Angleterre, par des raisons sur lesquelles je ne vais pas tarder à revenir, avançait beaucoup moins vite qu’il ne l’avait espéré, et de l’autre, ses agens, bien mieux informés que les nôtres, lui avaient fait connaître sinon le texte, au moins l’esprit du traité signé par Auguste III à Varsovie. Devinant sur-le-champ ce qui en pouvait sortir, il ne se souciait nullement de faire rire à ses dépens en prenant trop ostensiblement fait et cause pour les prétentions d’un prince qui, peut-être à ce moment-là même, traitait avec ses ennemis de la conquête et du partage de ses états. Sa réponse adressée à Louis XV fut donc sèche et même assez maussade. Avec Valori, il s’expliqua cette fois plus franchement et laissa même, dans des boutades d’humeur, apercevoir le fond de sa pensée : « Ne voyez-vous pas, lui dit-il, que vous poursuivez une chimère ? Ces gens-là sont vendus à l’Autriche ; la Russie, d’ailleurs, ne permettra jamais que son voisin et son protégé se fasse empereur, et les Polonais ne se soucient pas davantage de grandir à ce point leur roi ; nos deux voix, d’ailleurs, ne feraient pas encore la majorité du collège électoral. Retournez à Dresde, si vous comptez toujours sur votre éloquence ; mais, quant à moi, je ne m’abaisserai pas à gueuser ainsi l’amitié du roi de Pologne. » Et, quelques jours après, revenant sur le même sujet, il ajoutait : « Lisez les relations de nos envoyés en Saxe, et si elles ne vous servent pas d’ellébore, je vous déclare incurable… Adieu, mon bon Valori, faites-vous saigner trois fois par jour, buvez beaucoup d’eau et prenez encore plus de poudre blanche pour vous guérir de la fièvre chaude que vous avez assurément[1]. »

Il n’aurait pas fallu, en vérité, beaucoup de perspicacité pour se douter que du moment où Frédéric ne prenait qu’un médiocre intérêt à une opération dont il jugeait le succès douteux, n’ayant pas l’habitude de laisser sa pensée inactive, il l’avait déjà tournée vers quelque autre adresse ; et le soupçon eût été d’autant plus naturel qu’au même moment le bruit des négociations occultes engagées par le cabinet prussien avec les puissances maritimes se répandait généralement en Europe et revenait par tous les échos de

  1. Frédéric à Louis XV, 20 février, 14 mars 1745 ; — à Valori, 3-9 avril 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 60, 79, 102, 116.