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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

nationale s’en tient au chiffre rond de 160,000 hommes, soit une différence de 18 à 20,000 hommes en moins pour les troupes de ligne seulement entre les évaluations de l’état militaire et celles de deux écrivains justement estimée. L’écart est important.

D’autre part, il est vrai, Guibert, qui eut entre les mains tous les moyens d’information possible, donne pour les troupes réglées sur le pied de paix un chiffre supérieur encore à celui de l’Etat militaire, a On verra par le tableau annexé à cet ouvrage, — dit-il, dans son mémoire sur les opérations du conseil de la guerre, publié précisément en 1789, — que le pied de paix de l’armée, telle qu’elle existait au moment où le Conseil fut chargé d’en réformer et d’en consolider la constitution, était de près de 180,000 hommes. »

Quoi qu’il en soit, et que l’on adopte l’un ou l’antre de ces chiffres, il est certain que la monarchie, dans ses derniers jours, possédait encore une force militaire imposante.

Il s’en fallait toutefois que cette force fût en rapport avec les changemens intervenus dans l’équilibre européen. A l’époque de la ligue d’Augsbourg et pendant toute la durée de la guerre de la succession d’Espagne, Louis XIV avait pu mettre en ligne presque autant d’hommes que l’Europe coalisée. Un tel effort n’eût plus été possible en 1789, avec l’armée telle qu’elle était demeurée constituée. Grimoard a calculé que, de 1660 à la révolution, le pied de paix n’avait guère varié que de 90,000 hommes, « augmentation beaucoup trop faible, dit-il, en raison de celle de territoire français et surtout de celle des armées étrangères[1]. »

L’Autriche, en effet, n’avait eu garde de licencier une partie de ses régimens comme la France, après la guerre de sept ans, et son état de paix, sur une population inférieure d’environ 6 millions (20 au lieu de 26), était de 270,000 hommes de troupes réglées, qu’elle pouvait porter très aisément, grâce à son mode de conscription, à 400,000 hommes. Les subsides que le roi Ini avait payés pendant toute la dorée des hostilités, en vertu du traité secret de 1758, lui avaient permis de ménager ses finances et de rester «puissamment armée[2]. » Elle était d’ailleurs résolument entrée dans la voie des économies et s’était créé par là de grandes ressources.

  1. Recherches sur la force de l’armée française, depuis Henri IV jusqu’à la fin 1806.
  2. Favier, Conjectures raisonnées. — Par le traité de 1756, la France s’était engagée à fournir à l’Autriche, en cas de guerre, un corps de 24,000 hommes. Le traité secret du 30 novembre 1758 avait converti ce secours en hommes en une contribution annuelle de 8,340,000 livres, dont il était encore dû quatre années d’arrérages à la paix et dont le paiement ne put être achevé qu’en 1769.