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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

chassés de leur régiment ; défense d’engager aucun homme « qui ne soit bien fait et bien conformé, et qui n’ait : dans l’infanterie, au moins cinq pieds un pouce ; dans les hussards et les chasseurs, cinq pieds deux pouces et pas plus de quatre ; dans les dragons et dans la cavalerie, cinq pieds trois pouces et moins de cinq;» défense d’engager pour moins de huit et pour plus de douze ans ; défense d’engager aucun homme sans lui désigner l’espèce de troupe et le régiment auquel on le destine, et sans qu’il ait produit ou signé les pièces suivantes : — 1° un engagement imprimé conformément au modèle; 2° son signalement; 3° des renseignemens sur ses antécédens ; 4° un certificat du chirurgien ; 5° la ratification de son engagement.

Tel était ce système si décrié. On voit qu’en dépit des déclamations accumulées contre lui par les âmes sensibles de la fin du XVIIIe siècle, il n’était pas sans offrir de sérieuses garanties. L’ancien régime avait tout fait, et il y était presque parvenu, pour le régler et le moraliser. Au surplus, s’il se glissait encore, en dépit des prohibitions édictées, quelques mauvais sujets dans nos corps, le mal n’était pas si grand. Tel vaurien qui se perd dans les villes se réhabilite au régiment et fait souvent un excellent troupier, qui donne l’exemple et qui entraîne les autres. Et c’est avec des armées de stipendiaires et de vagabonds[1], il ne faut pas l’oublier, que Frédéric Il a vaincu l’Europe.

Une seule critique grave pouvait être adressée et l’était déjà par de très bons esprits au système. On lui reprochait, non sans fondement, son insuffisance en un temps où la conscription existait déjà chez l’une des grandes puissances du continent, l’Autriche, et lui permettait, a comme à Cadmus, de faire sortir des hommes de la terre et d’engloutir tous ses sujets dans ses légions[2]. » Tandis que notre armée perdait annuellement, par la désertion et les maladies, vingt mille hommes environ[3], ce n’était pas au moyen d’enrôlemens volontaires qu’on pourrait jamais, disait-on, lutter contre de pareils effectifs et combler de tels vides. Il y fallait une armée citoyenne. L’idée, mise en avant par le maréchal de Saxe dans ses Rêveries, lancée par Servan dans son Soldat-citoyen et reprise après lui par des Pommelles, avait très vite fait son chemin. Restait à savoir, et c’est un des premiers problèmes qui s’imposeront à la Constituante, jusqu’à quel point elle était réalisable.

  1. Guibert, Essai de tactique.
  2. Mirabeau, Système militaire de la Prusse.
  3. Grimoard.