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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

disait déjà le maréchal de Saxe, on ôte toute émulation au reste des officiers et à toute la pauvre noblesse du royaume, qui, par là, est certaine de ne pouvoir jamais parvenir à des postes dont la gloire puisse la dédommager des souffrances et des peines d’une vie laborieuse. »

Pendant la guerre de sept ans, le mal avait encore empiré, et depuis Frédéric II lui-même jusqu’aux rédacteurs de l’Encyclopédie méthodique, tous les témoignages s’accordent à le signaler comme une des principales causes de nos revers. « Les jeunes gens sans expérience auxquels on donne des régimens, écrit Feuquières, ont dégoûté les vieux officiers qui étaient à leur tête, parce qu’ils se sont trouvés obligés d’obéir à des enfans. »

Encore si ces enfans, ces colonels à la bavette, comme on les appelait, n’avaient eu qu’une autorité nominale. « Mais les sujets qu’ils proposaient au ministre étaient souvent incapables de former de bons états-majors, et de là tous les abus qu’on trouve dans l’état militaire[1]. » Ou bien encore s’ils avaient eu près d’eux, pour les suppléer au besoin, de bons coadjuteurs. Autrefois, si la fortune et la qualité donnaient seuls des droits au commandement d’un régiment, les emplois de lieutenans-colonels étaient à peu près exclusivement réservés aux officiers les plus méritans, Louis XIV leur avait même ouvert une porte vers les hautes charges militaires, en leur permettant d’aspirer au grade de brigadier[2], et c’est par cette porte qu’avaient pu s’élever au maréchalat des hommes comme Vauban et Gatinat.

Il n’en allait plus ainsi, malheureusement, depuis la fameuse ordonnance de Ségur surtout. Plus le siècle marchait dans le sens des idées égalitaires, plus il semble que ce fût l’intérêt, sinon le devoir de la royauté, d’abandonner ceux de ses privilèges qui

  1. Encyclopédie méthodique, supplément au mot colonel.
  2. « Depuis une trentaine d’années, on avait commencé dans les armées à réunir deux ou trois régimens pour former une brigade. Cette brigade prenait le nom du régiment le plus ancien et était commandée par le mestre de camp de ce régiment, quelle que fut l’ancienneté de cet officier. Ainsi le voulait le droit de préséance des corps. Or, il arrivait souvent que le commandant de la brigade était incapable et avait sous ses ordres des mestres de camp plus anciens que lui. Pendant les dernières campagnes qu’il fit en Flandre, Turenne avait déjà obtenu que les brigades de cavalerie fussent commandées par des mestres da camp expérimentés et commissionnés à cet effet. En 1667, Louis XIV créa des offices de brigadiers dans la cavalerie et, par ordonnance du mars 1668, il étendit cette institution à l’infanterie. Les brigadiers, qui remplirent jusqu’en 1788 les fonctions attribuées aujourd’hui aux maréchaux de camp, étaient officiers-généraux, de sorte que, par une combinaison bizarre, on vit des lieutenans-colonels de régimens qui étaient officiers-généraux et qui étaient quelquefois appelés à commander des brigades où leurs colonels devenaient leurs subordonnés.» (Susane.)