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Ainsi de l’armée royale pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle. Lorsque s’ouvrit la guerre de la succession d’Espagne, elle était « aussi belle que jamais[1], » malgré les revers partiels qu’elle venait d’éprouver. Malheureusement le roi se faisait vieux; Louvois n’était plus, le règne des femmes avait commencé. La décadence du commandement date de là. Sous Louis XV, elle s’aggrave de toute la distance qui sépare Mme de Maintenon de la Pompadour et de la Du Barry. Plus la royauté glisse dans la fille, plus l’étoffe à maréchaux perd de sa valeur et de sa qualité. Mme de Châteauroux est encore capable d’une certaine hauteur de vues et de sentimens, mais c’est la dernière. Elle parvient un moment à faire courir dans les veines de son amant quelques gouttes du sang de Henri IV ; mais, pour être plus généreuse, son action n’en est pas moins dissolvante, et sa présence à l’armée ne fait qu’ajouter aux embarras du général en chef. « Les courtisans, a dit Frédéric II, remplissaient le camp d’intrigues et contrecarraient le comte de Saxe, et une cour aussi nombreuse demandait par jour dix mille rations pour les chevaux des équipages. » Avec Mme de Pompadour, c’est bien pis encore. Le roi ne paraît plus à l’armée, mais quelle valeur morale, quel sentiment du devoir et quelle probité professionnelle attendre de généraux dont plus d’un avait gagné ses grades dans l’antichambre, quand ce n’était pas dans la chambre à coucher de la sultane favorite? Aucune, évidemment.

D’ailleurs eussent-ils réuni toutes ces qualités, et le hasard y eût-il ajouté le talent, qu’ils auraient eu bien de la peine à ne pas être au-dessous de leur tâche. La première condition de succès, à la guerre, c’est la suite dans les opérations. Or, à chaque campagne et parfois même au milieu, le commandement changeait de mains. Au favori de la veille succédait un nouveau favori, gagné sur le roi dans une heure de volupté. « L’histoire de la guerre de sept ans, a dit un historien allemand, offre plusieurs exemples de l’inconstance du cabinet de Versailles dans le choix des généraux. Presque à chaque campagne, on voyait passer le commandement en d’autres mains. Ces continuelles vicissitudes furent une des principales causes des revers que les armées françaises eurent à essuyer[2]. » Un autre historien militaire, un Français celui-là, et qui fut le témoin attristé de cette même guerre, a fait le compte et tracé le tableau de ces vicissitudes. Devant ce défilé de généraux, dont plus d’un fort distingué, sacrifiés tour à

  1. Susane.
  2. Retzow, Guerre de sept ans.