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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

Après chaque campagne, durant les quartiers d’hiver, chacun revient plaider sa cause à Versailles et charger son collègue. A la bataille d’Hastenbeck, le maréchal d’Estrées reste maître du champ de bataille; mais, au lieu de pousser à fond son succès, il s’arrête, au grand étonnement de l’ennemi. C’est que le comte de Maillebois[1], son maréchal des logis, grand ami de Richelieu, lui a fait passer un faux avis. Il s’en plaint dans son rapport au roi, sans pourtant nommer Maillebois. Néanmoins, celui-ci riposte par un factum accusateur, auquel le maréchal est obligé de répondre par un nouveau mémoire qui ne l’empêche pas d’être rappelé[2]. En 1759, Contades est battu à Minden : vite il rejette tout sur Broglie, « l’accuse de n’avoir pas attaqué à temps malgré ses ordres[3], » le noircit tant qu’il peut. L’an d’après, autre conflit entre Soubise et Broglie cette fois, à propos du combat de Fillingshausen. Qui a raison, de Broglie, qui voulant, dit-on, enlever à Soubise l’honneur de battre le duc Ferdinand de Brunswick, s’est jeté sur lui contrairement à ce qui avait été convenu, ou de Soubise, qui, voyant Broglie dans l’embarras et le voulant perdre, lui aurait refusé tout secours? La question est portée devant la Pompadour, et naturellement son favori Soubise l’emporte[4]. On lui donne à commander toute l’armée et les deux Broglie sont exilés. A Crevelt, « Mortagne, voulant perdre son rival, conseille à Clermont de retirer son armée du champ de bataille au moment où Saint-Germain demandait des renforts[5]. »

C’est ainsi que, sous le règne de la marquise, le commandement se désorganise et s’avilit[6]. Avec la Du Barry, quand la royauté sera

  1. Le fils du maréchal.
  2. Bibliothèque de la guerre. Pièces relatives à la bataille d’Hastenbeck, n° 207 du Catalogue.
  3. Retzow, Guerre de sept ans.
  4. Retzow, sur ce point, donne aussi raison à Soubise. Pour la justification de Broglie, voir Bourcet, Mémoires sur les guerres des Français en Allemagne.
  5. Retzow, Guerre de sept ans.
  6. Il y a des exceptions pourtant, et, dans cette émulation de platitudes, on a plaisir à rencontrer encore quelques caractères, témoin cette lettre du maréchal de Broglie au maréchal de Belle-Isle (18 octobre 1760) : « J’ai reçu, monsieur le maréchal, assez longtemps après sa date, la lettre dont vous m’avez honoré, le 29 du mois dernier, concernant le désir qu’avait Mme la marquise de Pompadour que M. de Molmont succédât à M. du Barail au commandement de Clèves... — Outre l’empressement que j’aurai toujours de faire ce qui pourrait être agréable à Mme de Pompadour, j’ai des raisons particulières de vouloir du bien à M. de Molmont... Mais il faudrait ôter le commandement de la citadelle de Wesel à un très bon officier, M. de Castella cadet, si M. de Molmont prenait celui de Clèves; je crois que la plus simple façon sera de donner, pour cet hiver, une autre place à M. de Molmont, et je n’en perdrai pas l’occasion. » — (Minute extraite de la Correspondance d’Allemagne (octobre 1760).