jusque dans les armées. Déjà, lors de la guerre de la succession d’Autriche, le scandale en avait été public entre Broglie et Belle-Isle[1], au siège de Prague ; plus tard, entre Broglie et Maillebois ou Polastron[2], et la Correspondance d’Allemagne est pleine de leurs doléances et de leurs dénonciations réciproques. Bien heureux quand le ton n’en va pas à l’insulte, comme le jour où, Broglie ayant tourné les infirmités physiques de son collègue en dérision, Belle-Isle riposte par ce coup droit : « Il y a plus d’un an qu’une fausse attaque d’apoplexie a frappé d’une atteinte irréparable l’intelligence du maréchal de Broglie. » Au cours des campagnes suivantes, l’ordre se rétablit un peu, grâce à la fermeté du maréchal de Saxe, grâce surtout au prestige qu’il doit à ses victoires. La cour n’ose pas le contrecarrer, celui-là, car le roi, à plusieurs reprises, lui a donné plein pouvoir[3]. Pourtant il a bien de la peine à se faire obéir de ses lieutenans. Après Lawfeld, si les alliés purent se retirer dans Maestricht sans être poursuivis, c’est, au dire de Frédéric II, « que M. de Clermont-Tonnerre se dispensa de charger avec sa cavalerie, bien qu’il en eût reçu des ordres réitérés, désobéissance qui lui valut le bâton de maréchal[4]. » Ainsi vont les choses en pleine victoire et sous un général investi de la plus haute autorité qu’homme de guerre ait eue depuis Turenne[5]. Jugez de ce qu’elles peuvent être, avec l’impressionnabilité française, en cette sombre période de 1756 à 1763 ! Quel spectacle offre à présent l’armée et dans quelle anarchie tombe le commandement ! Ce ne sont plus seulement de sourdes menées, des rivalités d’influence et des querelles de personnes, c’est la guerre déclarée, la lutte ouverte entre les généraux[6].
- ↑ Voir Broglie, Frédéric II et Louis XV, t. I, p. 60 et suiv.
- ↑ Broglie accuse positivement le premier de n’avoir pas voulu faire sa jonction avec lui en Bohême pour ne pas être sous ses ordres, et le second, qui était très appuyé à la cour et auprès de l’empereur, de n’avoir pas voulu quitter Prague alors qu’il lui en avait donné l’ordre, afin de se réserver pour le siège d’Egra. (Voir Broglie à l’empereur, lettre du 16 mars 1742.)
- ↑ « Vous savez que le roi vous laisse à l’égard de vos opérations la plus entière liberté, » lui écrit d’Argenson, le 19 août 1744. « Le roi vous laisse entièrement le maître de vos opérations et de ce que vous jugerez le plus convenable au bien du service, » lui réitère Noailles, le 17 septembre 1745.
- ↑ Frédéric II.
- ↑ « Le maréchal de Saxe, dit Montbarey dans ses Mémoires, était souverain absolu dans son armée : le roi lui-même était plutôt son second que son maître. »
- ↑ Au surplus l’armée française n’est pas la seule à souffrir de ces rivalités au XVIIIe siècle. Il y en avait « au-delà de tout ce qu’on peut exprimer dans les armées autrichiennes. » (Guibert, Voyage en Allemagne, I, 263.) — A Prague, entre autres, « le maréchal Brown pouvait éviter la bataille en se joignant à l’armée de M. Daun; il ne le voulut pas, afin de ne pas perdre le commandement, étant son cadet. Ce dernier, alors peu connu, était porté par la faveur d’une femme. »